Hier soir le très bon
mauvais genre de Jean-Pierre Mocky. Pour le créneau c'est presque un invité naturel que cet homme qui connait très bien les oeuvres du second rayon ou plutôt des rayons seconds : les genres bis, le fantastique, les délices du mauvais goût. Pensez-donc : un homme qui a été propriétaire du cinéma Le Brady, sauvant un temps de la destruction cette salle qui avait été un temple du cinéma d'horreur. Alors, Angelier lui déroule le tapis rouge.
Ceux qui ne peuvent pas blairer Mocky s'étonneront de découvrir chez le bonhomme exactement les défauts inverses de ce qu'ils s'imaginent : derrière le grincheux et l'as du rentre-dedans, on découvre un gentil qui connait tout le monde dans la profession et que tout le monde connait. Un qui, à une ou deux exceptions près, a tourné avec tout le monde même avec Scola et Guitry, et n'a raté que de très peu Gabin, Marty Feldman et combien d'autres pour les avoir engagés trop peu de temps avant leur disparition. Le tableau est presque trop beau : un homme aimé de tous, des morts et des vivants, des artistes populaires et des intellectuels, des stars et des marginaux, des réacs comme des gauchos et à l'entendre tous ces gens sont ses amis (mais on ne parlera ni de Léo Ferré ni de Moustaki, qui dans leurs souvenirs le flinguent à vue : "une anguille" disent-ils). Le gentil n'a pas toujours été gentil. Mais peu importe car l'auditeur s'instruit sur l'homme Mokiejewski né en France de parents venus des confins de l'Europe de l'est, formé chez nous au Conservatoire, qui est aussi musicien, et cuisinier, et puis on ne sait plus quoi (à l'entendre, à part cosmonaute il sait tout faire). Les cinéphiles seront gâtés, car tout en assistant au résumé d'une carrière qui se poursuit en poursuivant la bétise, ils verront revivre une époque (les années 50 avec Truffaut Godard et Chabrol jeunes) ; ils en apprendront sur Fellini et Woody Allen tous deux grands fans de Mocky ; et puis on sera bien informés sur Jacqueline Maillan et sur De Funès, car pour le grand flirt entre
Bourvil et Mocky depuis quelques semaines on sait tout ce qu'il y a à savoir. A force de l'entendre raconter sa propre légende, on comprend qu'il brode un peu ou un peu beaucoup, et on se dit qu'il sait l'édulcorer de ses propres sales coups, il y en a eu certainement mais il n'est pas là pour le dire.
Et comme inévitablement avec Mocky, le mauvais goût et le déplacé seront au rendez-vous, le temps d'une séquence qu'on aimerait pouvoir estampiller 3eme degré : intervention téléphonique d'Arielle Dombasle hélas c'est bien du premier degré. C'est le second rendez-vous téléphonique de l'émission. Heureusement le premier était avec Dominique Lavanant et de meilleure farine. L'entretien téléphonique qui vient en intermède dans les deux heures centrées sur le même invité, voila qui rappelle furieusement la forme qu'avait jadis 'Le bon plaisir'. D'ailleurs ces 120 minutes de Mauvais genre font rêver : rêver à ce que serait 'Le bon plaisir' si ayant survécu, on en confiait quelques numéros à Angelier. Rêver à ce qu'aurait été 'Samedi l'après-midi' de 2006 à 2008 si au lieu de le confier à Frédouille-la-grapouille, on l'avait confié à un producteur qui ne verserait pas des tonnes de crème et ses propres souvenirs d'érection du coeur, mais s'occuperait sincèrement de l'invité et du public. Il faut dire que dans cette profusion de souvenirs et d'anecdotes, la crème est généreusement auto-servie par Mocky himself qui ne cesse de tartiner son propre panégyrique même quand il parle des autres ("Roger Corman c'est le Mocky américain"), raconte ses fortunes en salles combles et en recettes mais aussi en procès car l'homme qui a reçu quelques coups bas, a su s'adresser à la justice et obtenir raison. Ici les requins du milieu cinématographique en prennent pour leur grade.
Mocky a 80 piges et il continue à tourner : bientôt un Tchékhov. Après 42 films et visant d'arriver à 100, Mocky est loin derrière Corman mais ou précisément à cause de cela, il tourne. L'homme semble disposer d'un réseau impressionnant, sinon unique. Pourtant, il dit "je ne suis pas seul, c'est parce que je continue à travailler". De ces deux heures de considérations sur le cinéma, on peut isoler ceci : Carné est mort dans l'indifférence, Fellini est mort seul et abandonné, mais c'est parce qu'ils ne tournaient plus. Ces types là avaient un handicap : ils ne pouvaient pas travailler pour rien, incapables de tourner des films fauchés. Mais moi je peux, dit Mocky. Par ailleurs bourré de fric, c'est un cinéaste frugal, qui tourne pour presque rien. Entre deux bons mots et une comparaison entre les comédiens de jadis et ceux d'aujourd'hui, on apprend comment marche le système Mocky : un film se monte sur deux têtes, on ne les paye pas mais si le film marche elles ne seront pas perdantes. On découvre aussi sa doctrine de la distribution : à la plupart des comédiens de notre époque même aux bons, il manque d'avoir souffert, ou il manque d'avoir une gueule, d'être laids pourquoi pas. C'est marrant de l'entendre dire ça quand on sait comment il a commencé sa carriére : quasi en clône de Gérard Philippe. A-t-il attendu d'être vieux et aussi déterioré que Michel Simon jeune, pour avoir du coffre ? Eh non certainement pas. C'est dire que dans ces deux heures il y a à prendre et à laisser : l'homme raconte, théorise, discute, babille. On peut se laisser embarquer mais c'est pas une raison pour se laisser mener en bateau. Enfin ça s'écoute très bien et les deux heures passent comme un coup de fusil. La fin arrive trop vite on a même envie de recommencer illico en reprenant le tout depuis le début, comme un bon film quoi.