Bonsoir Basil,
alors, par le menu :
... faire sentir la non existence objective des notions classiques les plus intuitives dans les sciences modernes
Justement, la science a longtemps progressé en s'affranchissant des intuitions. Les notions les plus intuitives, ce n'est déjà surement pas la relativité de Galilée, très contre-intuitive, ni l'héliocentrisme. Entendons-nous : Mme Tiercelin est sur le socle commun de la pensée de Popper : les théories scientifiques, si elle tendent vers la vérité, c'est de façon apodictique : elle disent ce que la réalité n'est pas. Et les concepts qu'elles utilisent ne sont et ne seront jamais la réalité, et n'attendent que d'être remplacés par des concepts plus efficaces.
La gravitation de Newton, effet à distance instantané et sans contact d'une force, concept qu'il avait déjà fait le grand pas de relier à l'accélération, est avantageusement remplacé par l'effet d'une déformation de l'espace-temps. Avantageusement, car le dernier prédit mieux les mesures qu'on fait du réel (de l'avance du périhélie de Mercure à la précision du GPS).
Ca ne signifie pas que le réel soit "vraiment" un espace dont la courbure est "réellement" entièrement descriptible par un tenseur, il se peut que quelques descriptions aujourd'hui plus exotiques du réel rende encore mieux compte des effets de gravitation et de la transformation des lois de la physique dans les référentiels en accélération. Peut-être quelque gravité quantique, supercordes ou structures algébriques non-commutatives viendront troubler ce beau tableau. Mais en attendant, ce concept est celui qui a la plus forte congruence avec les mesures qu'on peut faire du réel.
Bref, le côté non-intuitif des sciences - notre meilleur essai collectif d'améliorer nos capacités prédictives sur le réel -, il n'est que le signe de l'opacité du voile, celui dont parle d'Espagnat depuis 40 ans, qui nous couvre le réel.
Sinon sur le point qui me semble le plus important, vous restez muet. J’en conclue qu’il vous semble farfelu ou au contraire qu’il vous est évident.
Mais non, je vous tape ces réponses sur un coin de table entre deux réunions ou en fin de journée, j'ai juste passé à la trappe par manque de temps votre point principal.
Allons-y : ce point, est-ce bien la "non indépendance du sujet et de la connaissance à l’échelle humaine"? Eh bien ça, je ne veux pas polémiquer inutilement, je suis d'accord avec vous.
J'ai l'impression que les mots et les formules que nous employons ne sont souvent pas les mêmes, et gonflent un peu nos différences de point de vue.
Oui, la connaissance consciente est le produit des êtres conscients, elle n'a de sens que pour eux. Ceci dit, en incise (ça a peu à voir avec notre discussion), il y a des formes de connaissances non-conscientes, les réflexes par exemple. Les êtres conscients n'ont pas l'apanage de la connaissance, et nous-mêmes d'ailleurs n'accompagnons pas chaque connaissance de notre conscience de l'avoir, heureusement, quelle lourdeur ce serait!
Bref, diversité des points de vues sur le monde, qui dira le contraire ? Si on regarde un cylindre, moi de face et vous de profil, je verrai un rectangle et vous un cercle.
En l'état, si on ne peut pas multiplier ni croiser les points de vue, nos deux descriptions du monde seront mutuellement exclusives, aussi valables l'une que l'autre. Ca arrive en science, ça s'appelle la sous-détermination des théories par l'expérience. En ce moment par exemple, on a plusieurs cadres théoriques qui permettraient de concilier la relativité générale et la physique quantique : les supercordes, la m-theory , les boucles quantiques, les géométries non-commutatives... Toute savent réexpliquer toute la physique qu'elles sont , mais aucune d'entre elle n'est capable de faire des prédictions qui lui soit propres, et qui soient détectables par nos dispositifs de mesure. On peut donc, en attendant de trancher, utiliser des critères méta-scientifiques, type rasoir d'Ockham, élégance, concision, etc.
Pourtant, rien n'interdit en droit de penser qu'on ait un jour accès au moyen de trancher.
Alors oui, multiplicité des points de vue au départ, mais la force de la science est d'avoir bâti des processus de confrontation qui mènent au consensus. Si tous les physiciens du monde, quelque soit leur culture, leurs origines, leurs tropismes, peuvent échanger, se mettre d'accord, et bâtir une opinion commune sur ce qu'est la meilleure représentation du monde qu'on puisse donner - dans les domaines accessible aux mesures -, ce n'est pas pour rien.
J’aurais quand même une question à vous poser, qu’est ce que le « sujet » dans ces théories ?
Il est très léger : il est l'opérateur qui effectue la mesure du système préparé suivant la description indiquée par la théorie. C'est très formel et minimal, mais ça suffit à lui faire jouer un rôle majeur en physique quantique, puisque que c'est l'opération de mesure qui provoque, dans les axiomes de la physique quantique façon copenhague, la réduction du paquet d'onde. La mesure qui projette violemment un système comportant des particule dans un état superposé, à l'un ou l'autre des états possibles de l'observable mesurée. Mais avec une probabilité infiniment bien (ou presque) prédite par la théorie. Si vous faites un milliard de mesure, la théorie vous prédit combien de fois vous trouverez la particule dans tel état, et combien de fois dans tel autre, avec une précision diabolique (humaine en fait).
Dans votre exemple sur les observateurs, s’agit il d’observateurs identiques ?
Peu importe, mettons qu'il s'agisse de moi et d'un indien Nambikwara des années 30.
Le simple fait qu'il y a des traductions possible entre le français et celle des indiens Nambikwara, que d'une culture, on puisse étudier l'autre au point de dégager des structures inconscientes pour la première dans le système marital, cela incite à penser que nos descriptions ne seront surement pas identiques, mais qu'il y aura de fortes congruences entre les deux.
Pensez-vous donc qu'il y ait si peu en commun entre les hommes pour que, ne faisant pas partie d'une culture commune, il n'y ait pas un minimum d'appréhension commune du monde ? Et les mathématiques nées en plusieurs endroits du globe ? Et l'écriture, apparues indépendamment en mésopotamie, en chine, en mésoamérique, le lineaire A étant aussi une source probablement indépendante ? Et nos yeux, qui quand ont les dissèque, comportent les mêmes cônes, les mêmes bâtonnets, la même sensibilité au même spectre lumineux; nos oreilles fait des mêmes os et des mêmes cils; nos cervaux qui comportent, en tout point du globe, les mêmes lobes, les mêmes mêmes sillons, la même découpe en hémisphère et tronc cérébral (on pousse suffisamment de cris d'orfraie quand quelques différences sont exhibées par, mettons, la médecine) ? Et le même matiériel génétique à 99,5%.
Pensez-vous que tout cela soit des constructions inutiles de la nature, et que le fond de la perception se passe bien de tout ce matériel, qu'avec tout ces organes perceptifs en commun, nous n'avons pas des sensations comparables du monde?
Qu’il y est une réalité indépendante de nous, je l’admets volontiers avec vous
Ca nous fait un sacré socle en commun, mine de rien ! Plus que quelques pas et...
il vous faudra peut être constater également que la réalité est en « réduction » continue (entendre ici la diversité naturelle biologique, richesses des points de vue authentique …). La réalité en régression au profit de sa grossière imitation
Pourquoi passer de la réduction à la régression ? C'est très différent! Là-dessus, c'est cette mode de l'émergentisme qui donne des clés utiles à la compréhension. On sait bien montrer maintenant la façon dont des propriétés complexes émergent facilement de systèmes aux règles très simples. Il suffit d'ailleurs d'avoir vu un jeu de la vie (cf. Conway), mieux d'en avoir programmé un, pour voir à quel point les structures ne demande qu'à émerger au-dessus des univers simples qui sont leurs soubassements.
Je file (pas le temps pour le cerveau), mais ne me défile pas, à vous.