Vraiment pas terrib' ce matin la chronique de Philippe Meyer : quasi entièrement occupée par une page d'Alain tartinée à partir d'une seule image bien étalée : "l'odeur de réfectoire". Mais l'image n'apporte rien au propos, ni punch ni clarté ni rien. Résultat : la chronique est vide ou quasi. De quoi s'agit-il ? D'une version molle et un peu décalée du proverbe "chat échaudé craint l'eau froide". Ah bon. Ben si c'est ça, Alain, alors ça vaut le coup de le lire ? Mais oui braves gens, ne vous laissez pas égarer par cet exemple mal fichu et mal choisi. Tout ce qu'on apprend dans cette chronique c'est que quand Meyer est à sec il racle ses fonds de tiroir, et qu'Alain quand il se prend pour La Fontaine il se plante. Avec ce que le premier nous a lu ce matin, c'était le cas.
Et donc revenons au sujet de la chronique : alors si vous avez vécu la répression pendant l'enfance et si vous vous révoltez, vous resterez un rebelle toute votre vie, avec tous les excès que ça comporte. Voila ce que nous dit le texte. Et voila ce que nous dit la chronique, qui ce matin, n'est pas une chronique mais une lecture, un peu à l'image de la lecture morale du matin dans les internats religieux, ou de la sentence morale du jour qu'on écrivait au tableau chaque matin et qu'on allongeait d'un petit commentaire. Il faut avoir vécu ça.
C'est faire bien du mal à Alain que de le recruter pour balancer de telles inepties. Qu'il ait écrite celle-là et peut-être d'autres, là n'est pas la question. C'est toute une image de l'homme qui en sort simplifiée, mais voila elle est bien en phase avec la sociologie et la psychologie simplettes qui font le terreau de France Culture, et d'ailleurs Julie Clarini ne voit guère plus loin. Votre histoire explique ce que vous êtes et vous détermine. Sauf que pour ces gens cette histoire c'est celle de votre enfance, point final - Meyer comme Julie Clarini en tirent des conclusions différentes, mais tout aussi limitées et limitantes.
Est-ce que ça vaut le coup de discuter plus avant ? Je ne sais pas. Je m'autorise un détour et même deux : il n'y a pas que Julie Clarini pour feindre de penser en réécrivant les idées des autres, moi aussi je peux le faire. Mais ici j'essaierai plutôt d'appliquer un principe ou une méthode : si vous écoutez les cours de Jon Elster, au Collège de France ou dans l'Eloge du savoir, vous y trouverez une habitude certainement plus saine que la psycho/sociologie mécaniste qu'on vous vend sur France Culture. Quand Elster décortique le social selon les principes d'une sociologie analytique (merci de prendre le mot au sens scientifique, ou anglais), il dégage des mécanismes de façon non mécaniste, et quand il peut citer des expériences il ajoute des mesures ; en pourcentage, c'est toujours ça. Bien souvent, l'enquête ou l'expérience échoue à produire un résultat quantifié, ou plutôt elle ne réussit qu'à apporter une non réponse : le résultat est indéterminé. Mais c'est quand même une réponse utile. Dans le cas qui nous occupe, imaginons ce que ça pourrait (je dis bien "pourrait") donner : ben oui, une éducation répressive ça fait des conformistes, des autoritaires d'ailleurs c'est souvent les mêmes ; et aussi des froussards des révoltés et des gens dotés de discernement ; et puis encore sûrement autre chose. Et on aimerait avoir une répartition quantifiée même à la louche, pour chacune des voies suivies. Et ensuite à tous ces gens il leur arrive quoi ? Eh bien selon le déroulement de leur existence, il y en a qui changent et il y en a qui ne changent pas. Très vite, on va se trouver soit face soit à un modèle clair, soit devant un fouillis impossible à déméler et donc à modéliser, parce que les effets sont indéterminés. Arrivés à ce point, on dit clairement ce qu'on a obtenu, et le résultat de la recherche c'est ça. Notez que c'est déjà un résultat et non un baratin parachuté d'on ne sait où.
Des raisonnements pareils sont redoutablement efficaces pour clarifier plusieurs classes de problèmes : ceux des arbitrages individuels, ceux des préférences, des choix, des décisions, des influences. Le résultat est presque toujours sous cette forme : [x% font ceci et Y% font cela -entendez : ils font le contraire des précédents] ou bien [l'effet est indéterminé]. Oui je simplifie. Si vous pouvez me dire à la fois où pourquoi et comment, je vous promet que la discussion sera intéressante pour vous et pour moi et peut être pour ceux qui liront. En attendant, revenons au sujet : l'éducation. Evidemment, en ce qui concerne l'esprit de discipline ou d'indiscipline, je parierais que de telles études sont manquantes, sinon Meyer les connaitrait et il n'aurait pas dit tant de bétises ce matin. Mais on peut aussi remarquer qu'elles le sont tout autant à l'appui de la glose qu'il a jugé bon de nous balancer. Quant aux études qui étayent les "idées" claires de 7h35, elles sont tellement imprégnées de préjugés moraux et d'esprit de lutte qu'on ne sait pas comment en tirer un résultat exploitable, sauf bien sur s'il s'agit cette fois encore de tirer le mouchoir ou de lever le poing tous-ensemble-tous-ensemble-ouais.
Mais où est-ce que je veux en venir ? A ceci : qui d'autre qu'Alain nous dit que l'abus d'autorité génère un esprit de rébellion buté ? A-t-on besoin d'une image littéraire pour asséner un tel truisme ? Mais aussi, à quoi sert l'Autorité dans l'Education ? Quel bilan peut-on en faire ? Quel niveau juste de répression doit-on appliquer dans une institution de formation : comment ne pas en faire trop, comment ne pas en faire trop peu ? Mais aussi : comment croire que l'esprit de rébellion est la réponse individuelle à l'abus d'autorité, si on a finalement si peu de rebelles (ne croyez pas ce que vous dit france Culture : en dehors de ce collège de Bourgeois-rebelles-en-peau-de-lapin, la rébellion est toujours minoritaire), donc pour en revenir à l'image inepte d'Alain : si quelques-uns sentent toute leur vie l'odeur du réfectoire dans tous les restaus où ils passent, est-ce la faute du réfectoire de leur enfance, ou bien parce que leur nez est définitivement perverti, ou encore parce qu'ils n'ont jamais su ou voulu le rééduquer, peut-être que personne n'a essayé de les aider, peut-être que personne (et surement pas le France Culture de 2011) ne se soucie de leur en donner l'envie ?
Vous me direz qu'on ne peut pas dire tout ça dans une chronique. Vous aurez raison. Mais ça n'excuse pas qu'on en dise une toute petite partie qui, finalement, ne sert qu'à entériner un peu plus les idées fausses comme cette radio nous en sert chaque jour à la louche. Heureusement Meyer c'est pas tous les jours comme ça. Disons que ce matin il n'était pas inspiré, alors il s'est défaussé sur Alain. Il aurait mieux fait de nous lire une fable de La Fontaine