Les Nuits rediffusaient le 25 janvier 2016 un entretien de Noël Simsolo avec Antoine Bonfanti -
Mémoires du siècle : Antoine Bonfati ingénieur du son au cinéma (1ère diffusion : 20 août 1997). Antoine Bonfanti, engagé dans la résistance en Corse durant ses années de jeunesse, est devenu ingénieur du son à la faveur d'un stage (à la perche) effectué sur le tournage du film
La belle et la bête, de Jean Cocteau. Il a tout au long de sa carrière croisé plusieurs familles de cinéma : des cinéastes de la Nouvelle Vague (et Godard plus particulièrement avec le mixage de
Pierrot le fou) à Gérard Oury, en passant par Marcel Carné ou Bernardo Bertolucci (
Le dernier tango à Paris).
Mais avant d'embrasser cette carrière, Antoine Bonfanti a
tent[é] l'aventure de l'O.R.T.F. de 1948 à 1950, en entrant au Poste Parisien.
Noël Simsolo :
Qu'est-ce que c'était la radio à l'époque ?Antoine Bonfanti :
La radio à l'époque ? Bon, il y avait le journal parlé, il y avait toutes les chroniques et il y avait les pièces radiophoniques. Et les variétés. Or, les pièces radiophoniques de l'époque m'ont beaucoup appris, parce que le son radio, c'est le son qui fait entendre un décor à l'auditeur, et il [l'auditeur] imagine le décor. Et ça c'est extraordinaire. Dans mon métier, aujourd'hui encore, pour moi, un son hors-cadre est un son radio.Simsolo :
Ce qu'on appelle un « son off », c'est un son radio.Bonfanti :
C'est un son radio.Simsolo :
Est-ce que vous pensez que le son radio de l'époque, qui avait un côté encore une fois artisanal par le biais des machines, était plus évocateur de l'imaginaire que le son radio d'aujourd'hui ?Bonfanti :
Je crois. La mentalité a beaucoup changé « médiatiquement ». Et je crois qu'on est tombé dans un mauvais pli. C'est-à-dire qu'on ne donne plus au son son importance totale. Le son [créé à l'époque: 1997], c'est : on bouche des trous, on fait un tapis, c'est la moquette. Ce n'est plus le paysage. Et en même temps, la façon dont les commentateurs parlent maintenant en tapant sur tous les mots, en donnant une importance très forte à tous les mots, au lieu d'avoir un débit où c'est l'auditeur qui doit choisir la force de son mot, on lui imprime des mots dans la tête. Simsolo :
Y compris avec les sons qu'on ajoute.Bonfanti :
Oui, mais tout va dans ce sens-là.Simsolo :
A l'époque, donc, vous étiez au Poste Parisien, il y avait une espèce de liberté de création des gens qui faisaient du son, mais de liberté de création aussi de l'auditeur qui écoutait le son, c'est ça ?Bonfanti :
Absolument (...)
[son mp3="http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13915-25.01.2016-ITEMA_20897010-3.mp3" debut="16:56" fin="19:21"]
Un propos lucide et intelligent dont j'isole ici une deuxième fois la substantifique moelle :
Et en même temps, la façon dont les commentateurs parlent maintenant en tapant sur tous les mots, en donnant une importance très forte à tous les mots, au lieu d'avoir un débit où c'est l'auditeur qui doit choisir la force de son mot, on lui imprime des mots dans la tête.Caroline Broué est probablement la meilleure représentante de ces mots martelés, et Aurélie Charon la spécialiste du son utilisé comme de la
moquette.
Mais le pire est cette écoute orientée par les producteurs de France Culture qui privent l'auditeur de la liberté de son jugement. L'auditeur
qui doit choisir la force de son mot ne serait-il pas un peu le spectateur de cinéma devant un plan (mettant en scène une ou des actions) privilégiant une grande profondeur de champ qui ne distinguerait pas entre le premier ou le dernier plan, le flou ou le net, et laisserait donc toute la scène égale pour permettre à l'oeil de frayer librement (Cf.
Citizen Kane, d'Orson Welles) ?