Mon cher Henry.
D'abord, je vais me moquer.
Ensuite, je vais affiner le portrait à l'eau-forte que j'ai exécuté du matois Michou (Mâtin, cette photo ! Je n'ai connu ce plissement de l'oeil à la fois concupiscent et expert que chez les marchands de bestiaux)pour, peut-être, me montrer plus objectif.
La moquerie d'abord.
A part le déferlement éristique final de mon propos, sponsorisé par l'interprofession des vins de Porto, vous aurez noté que je n'ai pas flétri Godet sur ce qu'il est (un homme de droite ? Ce n'est même pas sûr, ou plutôt c'est plus compliqué), mais sur un point précis et objectif, à savoir le dépassement total de l'un de ses travaux universitaires majeurs, qui n'est plus un objet de réflexion économique mais d'histoire économique, et qui lui sert de vademecum intellectuel pour les trois quarts de ses démonstrations alors même que les prémisses d'icelles qu'il entend illustrer avec le cas des Mauges sont dépassées ou invalidées par l'évolution des choses.
Qu'avons-nous en face ?
Une affirmation, j'allais dire un acte de foi : "Comme économiste, il ne devrait pas être le dernier des nuls."
Je vous le concède, en dessous, il y a Jacques Balutin et Kiri le Clown. Mais on ne peut prétendre sérieusement que M. Godet soit un économiste reconnu, ne serait-ce qu'au travers d'éléments de mesure de performance telles que les publications scientifiques. A une certaine époque, l'économie française pouvait se targuer d'être, à droite, représentée par MM. Rueff et Barre. Je vieux bien que l'affaissement de la pensée soit généralisée, mais enfin, notre brave Godet ne saurait convaincre de la puissance de son propos.
"Qui pourrait dire qu'il n'a pas fondamentalement raison ?"
Une part importante de la communauté scientifique, les jeunes formés qui créent des entreprises en ayant recours à autre chose que l'écrasement du salariat, les fonctionnaires qui ne sont pas des parasites, les gens qui considèrent qu'il est temps de poser la question de la soutenabilité de la croissance, bref les gens qui font de l'économie autrement qu'en digérant le gigot flageolets dominical en feuilletant le Figaro Magazine (qui a bien baissé depuis qu'on y lit plus ce bon De Plunkett). Par ailleurs, ce procédé rhétorique ne démontre rien. j'en ai plein d'autres du même tonneau : "Etes-vous plus français que lui", par exemple, c'était pas mal.
"Il intervient de temps en temps dans l'émission c dans l'air, ce qu'il dit n'est pas furieusement tendance, c'est pas vraiment le bobo parisien, il dit, faut travailler, faut travailler, faut travailler, il est contre les syndicats, leur rhétorique et leurs magouiles, sur le plateau d'Yves Calvi, ça fait des vagues."
Ouah, quel courage, vite, le Panthéon, les Invalides, non, virez Chéops de sa pyramide !
D'abord, ca ne risque pas de faire de vagues sur le plateau d'Yves Calvi, qui est un condensé de la bien-pensance de droite (ce qui en fait au demeurant un contrepoint à la bien-pensance de gauche qui colonise FC comme les moules les bouchots. passons...), un salami industriel de propos de comptoir conservateurs-libéraux à destination des demi-cultivés qui se croient intelligents parce qu'ils lisent Le Point et affranchis parce qu'ils voteront Borloo au premier tour. Le manège enchanté des éditorialistes multicartes et des demi-soldes de M. Sarkozy (tel que l'insuffisant et suffisant M. Bescchizza, secrétaire général d'un syndicat policier sponsorisé par la maison Ricard -je l'invente rien, ils en font la promotion sur leur site internet). Le tout sous l'oeil de M. Calvi, qui fera une belle carrière sur les ondes périphériques car il est servile avec les forts et cruel aux petits.
Je passerai sur l'antienne d'il faut travailler, car peut-être conviendrait-il de dire pour qui et pour quoi, sinon, on joue le rôle de Xerxès flagellant les eaux de l'Hellespont. Quant aux méssants syndicats, il y a du vrai, mais il serait plus crédible si, en même temps, on évoquait les magouilles d'autres syndicats pourtant mieux introduits, à savoir ceux des patrons, ou plus précisément le Medef, car la CGPME n'en est que le harki. Je passe également sur l'allusion au bobo parisien qui est devenu à la droite mue par le seul cerveau reptilien, espèce représentée par le posteur moyen du Figaro.fr, l'équivalent du "Om" chez les Hindous. Michel Godet est autant mis en danger intellectuellement sur le plateau de C dans l'Air qu'un agneau au congrès annuel des végétaliens amateurs de coton.
"Il est aussi pour la famille, contre la dénatalité et comme il est père de nombreux enfants, il peut le dire."
Grand mage, vous pouvez le dire ? Oui. IL PEUT LE DIRE !
Curieux que vous évoquiez la dénatalité qui n'est pourtant pas un problème français, sauf si évidemment, vous cauchemardez toutes les nuits des visions raspaillennes où nos braves filles et filles de France sont submergés par des milliards de loqueteux patibulaires et basanés. Quant à la qualité de père de famille nombreuse, en quoi donne-t-elle une qualité particulière, à part celle, bête et animale, d'exposer la performance de ses gonades ? Ca mérite plusieurs bulletins de vote ? le parrainage du petit dernier par le Président et le Pape ?
En revanche, je remarque qu'il commence à manquer un bout à votre panégyrique godettien où figurent en bonne place le travail et la famille (allez, ca va venir). En revanche, je connais un pays où la dénatalité est un vrai problème et où Godet pourrait user à bon escient de sa science sur le sujet, c'est la Bundesrepublik. Et pour filer la métaphore maréchaliste, je vois déjà les bambins Godet s'exclamer épanouis "Finis les mauvais jours ! Papa gagne de l'argent en Allemagne !".
J'arrête là, d'une part parce que j'ai abusé de votre patience, d'autre part parce que je pense comme vous qu'il convient de se poser la question de la compétitivité et qu'il s'agit souvent d'un impensé.
Venons-en maintenant à la retouche au portrait de Godet. Attachez vos ceintures, je vais en dire un peu autre chose que du mal.
L'homme gâte par ses à-peu-près, sa fatuité, ses approximations crasses et sa défense d'un modèle pourtant bien malade de vraies qualités. Godet est fondamentalement un Girondin doublé d'un catholique social à la sauce dix-neufièmiste : un ami de la décentralisation, des corps intermédiaires, un apôtre de la collaboration de classes, un conservateur éclairé. Tout n'est pas à jeter dans cette pensée, bien au contraire : qui ne saurait défendre, comme lui, un Etat efficace et bon gestionnaire ? Qui ne saurait applaudir à la libération des initiatives locales ? Qui ne saurait constater que la dialogue social est, en France, une utopie? Tout cela, un esprit sans a priori peut l'entendre et, sinon y souscrire, en mesurer le bien-fondé (j'évite de parler de bon sens, le concept masque le plus souvent le trou noir de la bêtise).
Sauf que le problème, justement, c'est que, dans un monde qui change de plus en plus vite, et où les sources de richesses et de développement ne sont plus les mêmes, Godet pense toujours comme au XIXème, avec, soyons juste, un passage par le Comité des Forges de 1936. Godet pense Etat prédateur et non Etat mieux géré, alors même qu'il redevient un acteur essentiel de la vie économique et sociale des nations et que sa présence est appelée à corps et à cris, notamment en zone rurale. Il pense volume et compétitivité-prix alors qu'il faut penser qualité et saut technologique. Il pense rationnement du salariat et abaissement des protections alors qu'il faut poser la question des rapports comparés des rendements du capital (et même de la rente !), du travail et de l'investissement, et diminution graduelle et contractuelle des "privilèges" des insiders (disparition qu'il faudra d'ailleurs payer : Wyplosz, pourtant pas un gauchiste, ne dit pas autre chose). Il pense éradication des syndicats alors qu'au contraire, il faut organiser la généralisation de la syndicalisation, justement pour avoir des interlocuteurs crédibles et enfin sortir l'Etat de la gestion des conflits sociaux. Il pense croissance à la soviétique alors qu'il faut penser gestion dynamique des ressources rares. Je pense sincèrement que Godet a eu la tête tournée par son succès médiatique ; il devient incapable d'asséner autre chose que des slogans, des anathèmes, des railleries, ou des sentences. Face à un adversaire un peu coriace, ca tourne en rond (je l'ai vu sur Public Sénat en difficulté face à Jacques Généreux, qui est pourtant un turlupin). IL se déconsidère en se pensant comme un gourou, alors qu'il n'est qu'un bateleur. Destin comparable en tous points à celui de Jacques Marseille, dont les immenses qualités universitaires et intellectuelles se gâtèrent irrémédiablement au contact corrodant des médias (la liste des derniers ouvrages de Marseille est accablante. Il ne manque plus que les bonnes recettes de tonton Jacquot et 100 mots fléchés de Jacques Marseille pour l'été).