Un point initial : je récuse totalement la notion de "déni de réalité". Je considère qu’il s’agit d’une malhonnêteté intellectuelle qui consiste à poser comme postulat que le discours intellectuel peut produire, s’agissant de phénomènes sociaux complexes, une vérité objective dont la contestation consisterait en réalité à refuser cette vérité. Or, en cette matière, il ne peut y avoir que des interprétations du réel : Le Boucher défend une interprétation qui est partiellement vérifiée. Jorion aussi. Et j’ai la faiblesse de croire que les sectateurs de l’un ne valent pas mieux que les sectateurs de l’autre.
Par ailleurs, on peut penser ce qu’on veut de Jorion, de la confusion de sa pensée, de sa popularité suspecte, mais il est abusif de le réduire à une icône alter. Je trouve particulièrement mal venue la référence aux éditions du Croquant : Jorion est édité principalement chez Fayard. Ce n’est certes pas un gage de qualité, mais enfin il s’agit d’une maison qui ne porte pas franchement les mêmes stigmates que ceux dont s’est gaussé Nessie s’agissant des microscopiques éditions du Jacquou. Alors, Fayard, repaire de chevelus gauchos qui ronéotypent leurs tracts ?
Venons-en à Le Boucher : ce n’est pas le fond de sa critique qui m’a exaspéré, c’est sa forme, et ce d’autant plus qu’elle me paraît assez révélatrice du fonctionnement du personnage. Si j’étais méchant, je pourrais dire que si M. Le Boucher prétend que l’ouvrage de Jorion qu’il critiquait était le plus mauvais livre du monde, c’est sans doute qu’il n’a pas lu "Economiquement Incorrect", chez Grasset, recueil d’aphorismes et d’imprécations fort mal démontrées signé par un certain Le Boucher, Eric, dont curieusement les thèses centrales se sont trouvées après 2008 ravalées au même niveau d’actualité que le géocentrisme. Mais ce serait mesquin.
Ce qui est déplaisant, c’est que, même dans le cadre contraint d’une brève, le Boucher ne fait aucun effort de démonstration tendant à justifier sa réfutation du bouquin de Jorion : son tour de piste repose, par ordre chronologique : sur un postulat, sur une moquerie à l’endroit de l’auteur, sur une citation d’ailleurs tronquée, et sur une critique idéologique "Pouah pouah les affreux marxistes". De démonstration ? Point ? De critique objective ? Point plus. Un trait d’esprit de fin de banquet de Rotary-Club, une éructation de cuistre satisfait. Pauvre Le Boucher qui pense -à juste titre- qu’il faut une pédagogie de la réforme à destination des Français et ne sait diffuser sa pensée que par le mépris et la morgue.