Gérald Bronner est l' invité du dernier numéro thématique à l'occasion de la période des 12 jours. C'est un sociologue pro-libéral et un idéologue rationaliste, qui se voudrait un élève de Boudon mais il en est un peu loin, ce qui veut dire qu'il est à la fois nettement moins rigoureux et beaucoup plus intéressant à lire. En se voulant Weberien, il verse le plus souvent dans une psychologie plutôt mécaniste, non sans raison car il y a bien des automatismes dans la pensée humaine et dans l'action. Mais peut-être pas ceux qu'il croit. Philippe Meyer introduit l'émission par une présentation du dernier ouvrage de l'invité : "La démocratie des crédules", qui est sorti voici presque une année et pour lequel Bronner avait été
le 7 mars dernier dans la matinale de France Culture.
Bronner m'est sympathique parce qu'il a choisi le camp minoritaire, celui qui est dominé quantitativement en sociologie : la visée scientifique, non militante sauf en faveur de la rationalité et de la méthode. Ce qui en fait un ennemi déclaré des vices de la sociologie radicale : le relativisme, la soupçonnite, les prises de position engagées un coup pour le principe de précaution, un coup en faveur des classes dominées. Car une des ironies de la sociologie est qu'aujourd'hui, les sociologues qui font leurs choux gras sur la domination sont ceux qui dominent quantitativement (non sans terrorisme idéologique) le marché de la socio, probablement parce que l'idéologie est un meilleur produit que le savoir construit avec méthode. Cela dit, qui jette un oeil sur le monde académique peut y constater que le rapport de forces est inverse : la sociologie de la domination ne bénéficie d'aucun crédit dans le sérail des revues scientifiques.
Les livres de Bronner toutefois ne sont pas exempts de défauts : l'imprécision du style fait tiquer le lecteur au moins une fois par page ; on trouve ici et là de la généralisation souvent hâtive, et aussi hélas des raccourcis dont on peut craindre qu'ils soient fort peu étayés ou même, pas du tout. Ainsi quand Bronner raisonne comme si l'internet était à la fois constitutif et constituant déterminant de l'opinion publique, il commet une erreur semblable à celles dont Xavier Delaporte est coutumier. Bronner qui traque les biais cognitifs au point d'en faire une ficelle principale de sa recherche (ou de sa rhétorique ?) se soumet ici de lui-même à une illusion cognitive qui sans aller jusqu'à invalider son travail, nécessite d'y introduire de sérieuses réserves.
Cela dit, ce débat ne va pas vraiment beaucoup plus loin que quand Bronner se retrouve face à Voinchet, mais au moins ce dimanche midi, il coupe -et nous avec- à la voinchignollerie matinale . Gallo voudrait bien parler Histoire mais Bronner n'y connait rien. Bourlange tente de modérer l'invité alors qu'il en partage globalement les idées. Et puis on devine que Thierry Pech a identifié l'ennemi idéologique, et en plus assez faiblard en économie. Alors il enfile la blouse de l'instituteur et il fait la leçon à l'essayiste, avec une voix onctueuse de président de jury, ce qui doit bien faire marrer Bronner qui a lui-même présidé pas mal de jurys. Le normalien qui a identifié l'être inférieur n'ayant passé aucun concours, balance à l'essayiste : "les solutions que vous proposez ne sont pas à la hauteur". Aneffet on imagine mal Pech donner son aval à une solution qui ne serait pas issue d'une décision d'Etat ou d'un conseil de Terra Nova ou des deux. Et comme Bronner s'est déclaré Popperien, Pech torpille implicitement le popperisme en appelant d'autres critères de démarcation. C'est habile. Sauf que, comme la plupart des non-popperiens, en la matière il n'a rien à proposer. Pendant quelques instants le dialogue pourrait se gâter : en bon pragmatique post-positiviste et confiant dans le progrès par la raison, Bronner qui a bien compris où il est en train de se faire entrainer rappelle les règles de la publication scientifique et là le militant Pech devrait normalement se sentir dans ses petits souliers. Il reprendra un peu plus tard son ton de prof avec une de ses scies habituelles "le problème est là". Sous-entendu "en vérité je vous le dis, le problème est là où je vous dis qu'il est". Heureusement qu'on a un Thierry Pech pour se pencher sur la géographie des problèmes et du doigt précis pointer l'endroit où le brave con d'essayiste et avec lui ses braves cons de lecteurs, n'a pas assez posé le bout du pif. Par ailleurs Pech est une âme noble qui plutôt que de délivrer le "peut mieux faire" un peu méprisant, décerne au sociologue un généreux encouragement : "vous irez beaucoup plus loin, je vous y encourage". Il doit être vachement content Gérald Bronner membre de l'Institut, de se voir encouragé par Thierry Pech, qui hormis ses médailles en chocolat et sa caquette de militant professionnel, n'est rien du tout.
A part ça, malgré ses efforts pour éviter le biais d'attribution, Bronner semble parfois y céder. A la moitié de l'émission, Meyer qui en tant que sociologue est plus proche que lui de Boudon ou en tous cas l'a été plus longtemps,se voit dans la position de rectifier non pas la visée de Bronner, mais une de ses formulations qui trahissent sa pensée : les journalistes ne sont pas ceci ou cela, et les journalistes français pas plus que les autres. Bronner en bon Weberien abonde dans son sens, le contraire aurait été surprenant. Meyer en profite pour forcer une assez longue parenthèse sur la responsabilité de la presse, et pose le souhait d'une auto-régulation de la profession. Mais Bronner s'intéresse moins aux médias qu'aux lecteurs. Donc pour cette parenthèse de la mi-parcours, ils en resteront là.
Pour finir sur un sourire, je signale une anecdote savoureuse racontée par Philippe Meyer quelques instants avant cette parenthèse, donc vers la 30eme minute : alors que le débat tournait depuis quelques minutes autour des superstitions, Meyer qui raconte comment des candidats au bachot croient (ou en tous cas au moins un) que les ex-voto de la cathédrale de son quartier ont été posés là en remerciement pour avoir obtenu le baccalauréat. La scène a été relevée par Meyer le jour de la bénédiction donnée lors de la messe annuelle précédant l'examen. Quant aux ex-votos, ils sont là depuis 14-18 (!).