Une émission (comme bien d’autres) plus possible du tout sur France Musique : « Les imaginaires », et ses déclinaisons (« Cordes sensibles », « La terrasse des audiences »).
D’abord les discussions, ou plutôt les conversations qui constituent une bonne partie des émissions. Aujourd’hui, pour concurrencer Radio Classique, le passage de disques au kilo (promo-promo…) est une priorité, et donc il est rigoureusement interdit aux producteurs de s’exprimer plus de deux minutes à la file. Parfois, tant mieux, et allons plus loin, parfois, deux minutes, c’est trop, beaucoup trop.
Ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui réussissent en deux minutes à condenser un maximum. Exercice à portée limitée. Du gâchis. Les « grands entretiens » diffusés en semaine sont constitués aux deux tiers, si ce n'est plus, de passages de disques, shuntés forcément. Grand entretien sans doute de moins d'une heure en tout, étalé sur deux heures et demie.
Et puis revenons sur le principe du direct, car les émissions de J-M Damian étaient en direct, et qui plus est en public. Le direct est, contrairement aux émissions en studio actuelles (France Cu & Musique réunies) qui pratiquent le direct par souci d’économie (les raisons invoquées par la direction sont de l’enfumage, car il faut justifier les bafouilles et autres entretiens improvisés), une évidence : une émission de J-M Damian est un spectacle, pour les oreilles certes, mais un spectacle. Les conversations peuvent être, suivant les invités, plus ou moins badines (il y a public, donc les plaisanteries et sorties de routes sont bienvenues), alors que, sans jamais le faire sentir lourdement, le producteur en chef a un fil conducteur précis, mais qu’il se réserve le droit d’improviser si l’ambiance est propice.
« De l’amour » (26-03-1994), avec Pierre Lartigue et Jacques Merlet, va franchement dans la légèreté et le badinage (le principe du direct, c’est qu’il peut y avoir dérapage, plus ou moins réussi, normal), cf ce
billet du 12-09, mais l’on sent que l’émission a été bien préparée. Cela paraît évident, mais il suffit d’écouter le Radio France du jour d’aujourd’hui (Culture, et moins souvent Musique puisque la parole y est réduite à une portion congrue) pour que cette évidence s’effondre.
Exemples : J-M Damian demande à l’ensemble Sequentia de jouer un intermède musical non prévu dans le programme, les plaisanteries (Merlet, Lartigue + Damian, forcément…) pas toujours de bon goût (ce qui en fait parfois leur sel), les déraillements de la conversation (les chevaux et les trains), les rires du public, qui forcément galvanisent les invités.
Cette émission allie cabotinage à vue et propos plus instructifs sur l’art des troubadours et la forme de la sextine.
L’arrivée du nom du chanteur F. Lalanne (oui, le chanteur navrant, mais aussi éditeur aux Belles Lettres) en plein mitan, et l’éloge qui en est fait par P. Lartigue est un moment surréaliste. Qui s'attendait à voir un tel nom débouler dans une telle émission ?
Bref, pour revenir au dosage dans l’émission entre musique et conversations, la liberté est totale. Le producteur peut proposer un concert d’une heure, ou alors discuter une heure à la file avec ses invités, tout est possible, tout dépend des invités, de la structure de l’émission…
Par rapport aux 2mn de parlote enchaînées avec passages de disques, quelle différence.
[Sur Pierre Lartigue, cf aussi ce
billet du 5/10/23]
Quelques autres émissions de J-M Damian, en plus de celles du billet du 12 signalé plus hautLes imaginaires :
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Stéphane Mallarmé (25-09-1993), avec Gilbert Amy, Évelyne Andréani, Stéphane Goldet, Jean-Yves Bras
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Paul Verlaine (deux émissions, 09-11 & 07-12-1996)
avec Pierre Brunel, Eugène Green, Guy Gofette, Vincent Vives, Gilles Vannier et Michel Fleury. Récital avec Catherine Dubosc (soprano) et Colette Diard (piano), œuvres de R. Hahn, Fauré, Debussy.
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Claude Chabrol (22-05-1999)
avec aussi le quatuor Ysaÿe (quatuor d’Ernest Chausson)
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Jacqueline Risset (20-05-2000)
avec aussi au piano Andreï Vieru (Ravel/Debussy)
[Cf aussi le
le complément à ce billet]
Deux émissions de Noël que l’on peut qualifier sans crainte d’exceptionnelles :
Veillée de Noël (24-12-1995), émission de 5 heures. Seules les trois dernières sont disponibles. Les deux premières sont constituées de reportages (seul le dernier a été gardé ici) dans des hôpitaux (« Noël des enfants malades »).
Les trois heures : première et dernière heure, « La pauvreté et la grâce, Noël et l'humanité souffrante », avec Guy Lobrichon et Jean-Yves Hameline. Pour le concert, Dominique Vellard et l’ensemble Gilles Binchois. Deuxième heure, un conte signé Emilio de Majhanc (= Damian), « L’ange de Viroflay ».
&
Cordes sensibles :
Codex Calixtinus et chants de Compostelle (25-12-2004)
En l’église Saint Thomas d'Aquin, avec Marcel Pérès et l’ensemble Organum
La terrasse des audiences :
Krzysztof Penderecki (11-02-2006), le compositeur était à l’honneur du Festival Présences.
Avec aussi François Salque, Michel Lethiec et l’ensemble Capriccioso. Dernière demi-heure, interprétation du « Sextuor ».
Cf aussi
billet du 21-12-21, sur Sofia Gubaïdulina
Les imaginaires de Sofia Gubaïdulina (28-01-1995), par Jean-Michel Damian, réalisation Michel Gache – cf le Bonus web présent sur la page de
Musicopolis du 20-11-2018Les interprètes du concert :
l’Ensemble Erwartung dirigé par Bernard Desgraupes
Elena Vassilieva, soprano
Lionel Peintre, baryton
(...)
La compositrice était alors l’invitée du festival
Présences, organisé par Radio France.
Elle venait présenter plusieurs de ses œuvres, souvent en création française, ainsi que quelques nouveautés, commandes du festival. Le programme est déroulé dans la dernière partie de l'émission.
Jean-Michel Damian s’avoue ému d’avoir une telle invitée, mais aussi gêné par la barrière de la langue. Il faudra passer par l’intermédiaire d’une interprète, ce qui alourdit la conversation.
Pendant l’entretien, outre le producteur, la compositrice et son interprète, nous pouvons entendre parfois Jean-Pierre Armengaud, qui dirigeait alors le festival.
Première heure : Jean-Michel Damian tente de retracer le parcours de Sofia Gubaïdulina, sans grand succès. La compositrice se confie avec plus de précision sur ses compositions, voire ses interprètes, que sur sa vie en URSS durant les années 50/60. Donc, quelques propos un peu flous et convenus, notamment sur Chostakovitch. Finalement, Jean-Michel Damian pallie à ce manque en donnant aux auditeurs plus d'informations.
Quelques extraits d’œuvres ponctuent l’entretien.
A la 57ème mn précise l’émission décolle vers les cimes, avec un concert contenant une seule pièce d’environ 50mn (à cheval sur les deux fichiers, mais la coupure ne dénature pas la pièce) :
Perception (1981-83/1986), pour soprano, baryton, sept instruments à cordes et bande magnétique, sur des poèmes de Francisco Tanzer, ainsi que sur des psaumes.
Comme Bach ou Bartok, Sofia Goubaïdulina, dans
Perception, utilise les mathématiques dans sa technique de composition. Dans le dernier mouvement, elle se sert de la série de Fibonacci dans la structure rythmique.
Comme le dira après le concert Jean-Michel Damian, cette musique est spirituellement élevée, sorte de messe après laquelle il est difficile d’enchaîner. Et pourtant, il restera 40mn d’entretien, dont une bonne partie tout à fait passionnante.
Après une pièce plus légère – un arrangement d’une valse de Strauss – Sofia Gubaïdulina parle de la symbolique musicale dans son œuvre, exemple à l’appui –
Seven Words pour violoncelle, accordéon et cordes (1982) dont l’extrait correspondant est diffusé dans la foulée, en lieu et place d’une relance du producteur.
Après être revenue sur l’une de ses pièces les plus connues, l’
Offertorium, Sofia Gubaïdulina tient à nous faire écouter pour terminer le début d’une de ses dernières pièces,
Jetzt immer Schnee –
Maintenant toujours la neige, sur des poèmes de Gennadi Aigi.
P.S.
Concernant la compositrice, mais plus France Musique, la «
Passion selon Saint Jean » proposée sur le site de l'ARD 1. Excellente prise de son.