Sans vouloir contredire personne, je ne vois pas en quoi les Nouveaux chemins d'Enthoven seraient un ersatz des "Chemins de la connaissance". C'est plutôt une reprise de titre comme on prend une coquille vide, pour y mettre quelque chose qui n'a rien à voir. C'est pas un vice grave, d'ailleurs. Suez qui exploitait la concession d'un canal, est devenu une banque sans changer de nom et sans que personne n'y trouve à redire. De toutes façons à la direction de FC on semble ne pas savoir ce que signifie un titre pour une clientèle d'auditeurs habitués : Tire ta langue en 2010 n'est ni le "Tire ta langue" inventé par Olivier Germain-Thomas, ni (hélas, trois fois hélas) la fabrique de documentaires que pilotait si bien Antoine Perraud jusqu'en 2002 ; et en 2010 "La suite dans les idées" n'a rien à voir avec ce qui portait ce titre en 1999. Et là c'est le contraire : on dit "heureusement !". N'empêche qu'à la direction de France Culture où en 1999 on s'est mis à employer sans vergogne le double-langage, on ne s'embarrasse pas trop du sens des mots.
Une brève parenthèse sur ce qu'il y a d'un peu lourd et qu'on a largement pointé ici, peut-être trop au goût des fans : d'abord l'histrionnisme de Raphaël ; ensuite la construction vraiment lège qui fait qu'en gros, un thème hebdo c'est 5 auteurs quotidiens pour broder 5 fois une couleur un peu différente, et puis basta. On a beau saupoudrer avec du Shakespeare et du Tintin pour jouer l'air de la culture pluraliste, c'est presque toujours la même sauce. Et d'ailleurs comment faire autrement, quand l'émission est confiée toute l'année au même gus qui depuis 20 ans mange et restitue de la philo toute la sainte journée ? Par chance, Raphaël est un as du direct : chaque jour ou presque il l'annonce comme s'il revendiquait là une qualité, ou bien serait-il conscient des défauts que ça entraine ? Or : réduction + direct, on trouve là les deux étapes qui dans les Chemins, avaient précédé l'arrivée de Raphaël : Jacques Munier menotté avait dû lui aussi passer par ces fourches-là pendant 3 ans, et de même il a tiré l'émission à 95% vers ce qu'il connait : sciences humaines et sociales. Mais pour l'aisance dans le direct, pardon, c'était pas encore trop la cata comme maintenant dans "A plus d'un titre".
Alors venons-en au comparatif : ces deux émissions elles n'ont presque rien en commun, et ce presque rien est presque tout dans le titre, quand même ça fait pas grand chose : le mot "Chemins" toujours là et le mot "connaissance", parfois là et parfois pas. Ah n'oublions pas que c'est une quotidienne qui développe chaque fois un sujet sur la semaine. Et voila c'est tout. On a fait le tour. C'est donc pas de l'ersatz, c'est une opération d'illusionniste qui consiste à vendre du steak en mettant dessus une étiquette "croissants". Et tout ça sans changer de vitrine : émission-phare, matinale, hebdo. Mais aucun amateur de steaks ni de croissants ni de connaissance ni de radio ne peut s'y laisser prendre. S'il y a des auditeurs qui s'imaginent que les Chemins de la connaissance est une émission-pilier qui tient depuis 1975, ben ils n'ont pas les oreilles en face de leurs trous, et voila tout. Au reste, si le produit est bon alors il trouve son public, non ? Et c'est bien ce qui s'est passé. Donc c'est pas grave ? Non c'est pas grave, mais sous cette manipe d'illusionniste il y a l'essentiel : on nous a privés de quelque chose qui n'a jamais été remplacé.
Les Chemins de la connaissance que regrette Henry et aussi une bonne partie des auditeurs qui se sont frottés à la chaine avant 2003, eh bien ces Chemins-là c'était une émission multi-thématique. Une encyclopédie en chantier, et comme un résumé de ce que la station pouvait offrir en matière d'exploration des savoirs : sciences, lettres, arts, histoire, idées, musique. Par ailleurs c'était du documentaire avec la belle ambiance docu-maison. Sur un bilan compté en heures/minutes de documentaire régulièrement offertes à l'auditeur, ces Chemins de la connaissance c'étaient 30+20=50' quotidiennes, à quoi on pourrait ajouter les quelques années de "Chemins de la musique" qui fonctionnait sur le même principe, comme un sous-secteur spécialisé. Total : 80 minutes quotidiennes de qualité radio qui n'ont jamais été remplacées.
Au contraire, les chemins de Raphaël c'est 95% de philo avec en invités des profs de philo, animé par le toujours même ancien étudiant de philo devenu prof de philo et ayant plein de chouettes copains qui font de la philo. Et même disposant de la vaste culture qui va avec cette carte de visite, comment voudriez vous qu'Enthoven réussisse à faire quelque chose d'aussi varié et diversifié que les Chemins qu'avait voulus Claude Mettra ? Le résultat : eh bien oui, c'est 95% de philo, pour la plus grande partie à sa sauce à lui, Entho. L'atout numéro un de l'émission, c'est bien lui, son carnet d'adresse contenant tout ce qu'il a su rencontrer dans son parcours de khâgneux puis d'agrégé : copains d'avant, profs d'avant, rivaux d'avant, collègues de maintenant. Evidemment ça fait du monde et c'est bien comme ça qu'il fait mieux que la sauver son émission, et lui donne sa couleur, sa touche, finalement c'est pas mal comme ça. Mais ça n'a plus rien à voir avec le projet encyclopédique, qui lui n'a pas été remplacé : à la place on a une émission de philo, point final. Il n'a pas osé l'appeler "Chemins de la sagesse" parce que ça aurait trop tiré vers le niouvèdge et qu'il y avait déjà pour ça le jeunot Olivier Germain-Thomas et maintenant le marmot Frédéric Lenoir. Eh bien voila comment on récupère une coquille soigneusement vidée en 2 temps, et dans le titre on s'installe comme un Bernard L'hermitte à grosse tête.
./...