Hier dans Les Echos sous le titre "Je veux transformer Radio France", on pouvait lire ces propos de Mathieu Gallet recueillis par Grégoire Poussielgue et David Barroux :
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Vous allez prendre dans deux semaines la présidence de Radio France. Quelle est votre vision de ce média, n’est-il pas condamné au déclin ?Absolument pas. La radio a même une longueur d’avance. L’évolution technologique et les progrès du numérique créent plus de concurrence, mais aussi plus d’opportunités pour la radio, qui est finalement moins fragilisée que d’autres médias. Pour la presse, la télévision, ou l’industrie musicale, la révolution numérique est synonyme de changements profonds. La radio en revanche est en phase avec la nouvelle donne qui nous fait basculer dans un monde plus intime, plus personnel, plus mobile... C’est même son ADN !
L’univers des médias devient quand même de plus en plus concurrentiel ?Avant, chaque média avait son territoire, ses moments dans la journée. Il y avait un temps pour la presse, un temps pour la radio, un temps pour la télévision. Aujourd’hui, tout le monde se retrouve en permanence sur le terrain numérique. Pour les acteurs traditionnels comme pour les nouveaux, la convergence est une donnée de base. Mais la radio conserve son avantage : celui d’être un média d’accompagnement et de mobilité. On peut écouter la radio et faire autre chose en même temps.
Le numérique n’est donc pas une menace ?Il faut accepter de se remettre en cause. Le numérique est avant tout une opportunité. Avec Internet, nos radios peuvent être écoutées dans le monde entier. Et n’oublions pas que la force de la radio est qu’elle continue de s’appuyer sur des talents. Nous pouvons tous faire nos playlists sur un smartphone, mais si les radios restent si populaires, c’est parce que c’est un media prescripteur animé par des équipes qui apportent une valeur ajoutée, qui savent concevoir et proposer des programmes pour accompagner tous les moments d’une journée, qui ont des voix, une identité. Les jeunes générations n’auront sans doute pas le réflexe « transistor », mais elles ne vont pas abandonner la radio pour autant.
Mais la radio va devoir changer ?Elle doit s’enrichir, en mariant le son et les formats numériques comme les vidéos ou les infographies. Mais la radio, ce n’est pas de la télévision. Et si elle doit mieux être à l’écoute des réseaux sociaux, elle a l’avantage d’être le premier média interactif. « Le téléphone sonne », c’est une marque pionnière de l’interactivité depuis plus de vingt ans !
Quelle est votre ambition pour Radio France ?Mon ambition est de transformer Radio France. Je ne suis à l’origine ni un homme de radio, ni un journaliste. Je suis un manager. Si j’ai eu envie de présider Radio France, c’est parce que j’ai considéré qu’il y avait d’abord un enjeu d’entreprise. A l’Institut national de l’audiovisuel (INA), que j’ai présidé quatre ans, j’ai accéléré une dynamique de changement et d’enrichissement de l’offre. L’un des avantages de Radio France est de produire elle-même ses contenus. C’est un atout fondamental, et cela nous donne une forme de liberté dont nous devons apprendre à profiter.
Quelle sera votre mode de management ?Je fixe un cap, je fais confiance, je délègue et je veille à la bonne mise en œuvre de la stratégie. Voilà pourquoi je souhaite avoir autour de moi une équipe soudée, resserrée et réactive. Elle sera construite en m’appuyant sur les remarquables expertises internes comme sur des compétences qui viendront de l’extérieur. Je veux aller vite pour impulser un changement dès mon arrivée. Dans mon équipe je nommerai un responsable en charge de la cohérence et la complémentarité de nos sept chaînes, avec l’ambition de toucher un public le plus large possible. Il devra s’assurer que l’on ne fait pas quatre fois la même matinale par exemple ! Dans une période de contrainte budgétaire, il faudra aussi se mobiliser pour le développement et les diversifications des ressources. Nous avons la chance de pouvoir rouvrir la Maison de la Radio d’ici la fin de l’année, après des travaux commencés en 2009. Nous avons un nouvel auditorium qui doit nous aider à faire de cette maison un phare dans la production et la diffusion de la culture. Nous avons aussi un enjeu fondamental : la distribution de nos programmes en utilisant au mieux les nouvelles technologies, les rendre accessibles au plus grand nombre. Enfin, ne perdons pas de vue que le management, ça n’est pas que la direction. En outre, dans les jours qui suivent ma prise de fonctions, je respecterai un engagement que j’ai pris devant le CSA. Je nommerai au moins deux femmes parmi les sept patrons de chaîne qui incarnent Radio France. Enfin, ne perdons pas de vue que le management, ça n’est pas que la direction. Il faut que tout les niveaux intermédiaires soient impliqués et responsabilisés.
Radio France, c’est le service public, mais en même temps France Inter donne souvent le sentiment d’être une radio engagée à gauche. N’est-ce pas contradictoire ?Le service public, c’est l’exhaustivité, l’exigence du pluralisme. Il faut faire entendre tous les points de vue et que tous les Français se retrouvent dans Radio France. Cela passe par une forme de neutralité et avant tout d’indépendance. Il ne faut pas oublier la grande force de France Inter : elle reste leader sur tous les moments clefs de la journée, le matin, la mi-journée et le soir.
Quelles sont vos priorités pour les antennes de Radio France ?La première et la plus urgente est France Info, car son modèle est celui qui est le plus attaqué par Internet et les chaînes d’information en continu, dont l’essor va se poursuivre avec la possible arrivée de LCI sur la TNT gratuite. Le deuxième chantier, c’est Le Mouv’. Radio France ne peut pas renoncer à s’adresser aux jeunes. Ils se retrouvent sur toutes nos chaînes bien sûr mais il faut que Le Mouv’ trouve sa place, qu’il réaffirme ses choix musicaux. Qu’il attire le public des cultures urbaines. Il n’est pas question d’abdiquer ou de rendre les fréquences du Mouv’ sur la bande FM. Enfin, ma troisième priorité, c’est France Musique. Il n’est pas acceptable qu’à Paris, par exemple l’audience de France Musique soit de 1,2 point contre 3,5 pour Radio Classique. On ne peut accepter un rapport de un à trois et pour cela il va falloir réfléchir à adapter la programmation, en laissant plus de place à la musique et moins à la musicologie. Et puis il y a des antennes qui fonctionnent parfaitement comme France Culture ou Fip, qui ont leur public et qui peuvent même encore se développer grâce au numérique. Enfin, France Bleu est un succès mais elle doit encore continuer à toucher un public plus large que les CSP + auditeurs traditionnels des radios publiques.
Mais peut-on réformer une maison comme Radio France ?L’avantage de Radio France est que, contrairement à France Télévisions, sa structure est la même depuis quarante ans et l’éclatement de l’ORTF. Cette maison a une histoire, une culture commune, une ambition du service public. Dès mon arrivée, je rencontrerai les organisations représentatives du personnel. Mon objectif ? Conclure un nouvel accord d’entreprise, parvenir à un nouvel accord social. J’ai confiance dans le corps social de Radio France pour faire avancer l’entreprise autour d’un projet et d’une dynamique de transformation pour l’horizon 2020.
François Hollande a souhaité en fin d’année dernière des synergies entre France Télévisions et Radio France, sur le numérique notamment. Partagez-vous ce souhait ?Absolument. On peut envisager des synergies entre les entreprises de l’audiovisuel public comme France Télévisions, France Médias Monde et l’INA qui ont toutes développé des plates-formes numériques performantes. Il faut d’abord travailler sur les outils et les réseaux, afin que les systèmes se comprennent, soient compatibles. Après, chacun doit pouvoir s’enrichir des contenus de l’autre, la vraie complémentarité est là.
Pourrez-vous mener à bien tous ces chantiers dans une équation budgétaire qui reste difficile ?Il me paraît normal que l’audiovisuel public contribue à l’effort de redressement des comptes de la France. Mais cet effort doit être justement réparti et ne doit pas nous empêcher de développer l’entreprise. Le contexte est difficile, car les recettes publicitaires de Radio France, qui représentent environ 40 millions d’euros sur un budget total de 660 millions, ont une tendance structurelle à la baisse. Le service public doit rester universel, gratuit et anonyme, mais nous devons penser à un système de valorisation des services additionnels. La raison évidente est qu’ils ont un coût.
Comment avez-vous accueilli votre nomination, qui a créé la surprise ?Quand Olivier Schrameck [le président du CSA, NDLR] m’a appelé pour me prévenir, je dois avouer que j’ai été très ému. Très fier aussi d’avoir été élu à l’unanimité. Je prends aussi cette nomination comme une reconnaissance du travail que j’ai accompli, pendant quatre ans, avec toutes les équipes de l’INA. >>
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