En fait, je ne la connais pas. Je me souviens vaguement l'avoir aperçue un soir à la télé dans les années 80, impression plutôt séduisante. Par la suite, l'image que je me suis formée a été influencée par les commentaires des auditeurs critiques. Je l'ai vue comme une femme un peu superficielle et mondaine, moderniste à tout crin. Je l'ai entendue une fois chez Emmanuel Laurentin, pour un livre qu'elle avait écrit sur Hannah Arendt. Je n'ai pas lu le livre, mais ce qu'on en a dit et sa façon de s'exprimer dans cette émission allait dans le même sens, celui d'une forme agréable et d'un manque de fond.
Depuis, j'ai commencé à changer. Je la connais à peine mieux: j'ai entendu deux épisodes de l'Avventura, à chaque fois très prenants et profonds (un réalisateur catalan et un allemand); cet été, j'ai capté sur l'autoroute une ou deux heures d'émission sur Duras très bien faites; et hier soir, cinq minutes de bonheur.
Je vous raconte ça à la façon de l'inspecteur Colombo (parce que les circonstances appartiennent aussi au jugement global): on venait, avec ma femme, de regarder The big sleep sur Arte, et pendant que je lui préparais un petit lait chaud, j'ai mis FC. J'ai vérifié depuis que c'était bien Laure Adler avec son invitée. Celle-ci, pendant ces cinq minutes, a parlé de sa vie: camp de concentration, hôtel Lutetia, retour impossible dans sa famille, vie de bohème à Saint Germain des Près, premiers travaux dans le cinéma... avec une force d'évocation et un humour impressionnants. Mais, ce qui me fait écrire ici, c'est qu'il m'est apparu clairement que ce bonheur d'écoute tenait autant à la personnalité de l'invitée qu'à l'art de l'interview de Laure Adler. Rien à voir avec un simple "question/réponse", c'est plutôt le sentiment de partager une expérience, de retisser un parcours vital, dans une expression à la fois directe, spontanée, et mise en forme (guidage par L.A. selon sa connaissance et sa perception, inclusion naturelle d'un extrait de film complètement raccord avec ce qui vient d'être dit).
Je n'ai quand même pas oublié mon lait, et j'ai éteint le poste. Mais, pour les amateurs d'art radiophonique, je voulais signaler cette petite expérience. Qui montre aussi que je suis très influençable, mais si vous dites encore du mal de cette artiste du micro je me laisserai moins facilement convaincre.