Bah, Stéphane Rozès, qui doit en avoir soupé de l’éternelle remarque sur les prédictions de l’élection de 2002, il lui fallait bien tirer sur quelqu’un pour défendre un minimum la profession.
Depuis le début d’émission, l’utilisation à outrance de l’instrument des sondage, la
sondomanie des politiques et surtout de leurs commentateurs se faisaient dégommer par Wolton, puis en passant par Slama, et finalement Fourest et Clarini. Certes, Rozès, les instituts de sondages n’étaient pas directement en cause, c’est plutôt la rédac’, Huertas, et par voie de responsabilité Voinchet qui devaient se sentir visés (au passage, j’ai l’impression que les interruptions à répétition du Voinche étaient autant dû au malaise que pouvait provoquer les propos de Wolton, juste après le passage de Huertas, qu’a sa difficulté à supporter les tunnels). Enfin il devait être à fleur de peau, le Stéphane Rozès.
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La chronique d’aujourd’hui, je veux bien en dire un mot : Je ne trouvais pas particulièrement débile de soulever le sujet délicat des apories de l’antiracisme. C’est évidemment une attitude à laquelle on a souvent envie de faire la peau, l’antiracisme béat, tellement il est pratiqué avec peu de discernement et de recul, surtout dans les médias.
Que Clarini, qu’on imagine volontiers pencher facilement de ce côté-là (l’antiracisme primaire), attaque au moins le problème par un bout, rien-là encore qui mérite que Georges Royer s’en mêle.
Donc qu’est-ce qu’elle reproche à l’antiracisme primaire, mais aussi au multiculturalisme porté par l’Europe en réponse au racisme (elle mélange un peu les deux sujets, mais on pourrait arguer que les problèmes s’en confondent)? C’est en gros de réagir au racisme par un simple racisme inversé : à "les races sont inégales" par un "non, les races sont merveilleusement diverses" (je traduis Clarini à ma sauce), et de retomber dans le racisme, du fait même de nommer des groupes (ex : les Rroms), dresser des catégories humaines, et leur prêter des propriétés de groupes (mais positives), les essentialiser, etc etc, y compris pour les défendre quand elles sont victimes de racisme.
Bref, Julie Clarini trouve ce parti-pris dangereux : on pourrait formuler sa crainte en disant qu’il valide, ou reconnais au moins le "découpage" effectué par les racistes dans le continuum humain. Clarini préfère l’attitude qui s’en tient à prôner la stricte égalité des droits de tous, sans présumer d’un découpage racial ou culturel de la population concernée. Elle finit toutefois sa chronique en questionnant l’efficacité de cette dernière option.
De mon côté, ce que je trouve dommage mais compréhensible du fait du format, c’est que JC ne s’attarde pas sur ce qui peut lui répugner dans le découpage racial ou culturel, à la fois dans l’appréhension qu’on peut avoir de l’humanité, et dans le droit.
Dans le droit, le refus de la dénomination raciale ou culturelle peut s’expliquer si l’on préfère un droit à l’esthétique sûre, qui repose sur des principes très généraux, et où effectivement, l’égale dignité tout humain est le principe sous lequel on devrait pouvoir subsumer la réponse légale à toute situation particulière. Et effectivement, comme Clarini le concède, on est aussi en droit d’opter pour un droit adaptatif, contingent, et qui pallie plus directement les vicissitudes du comportement humain et social.
Par contre, c’est quand il s’agit de qualifier le réel que l’analyse devrait porter également, mais cela n’a pas été fait par Julie Clarini : quels usages du mot race existent réellement, et dans quelle mesure chacun est-il légitime ou non ?
On pourrait classer comme suit, d’après moi, les racialistes (histoire de sortir du mot "raciste", mais si on n’utilise pas ce mot-là, c’est pour une raison parfaitement contingente) :
- Les racialistes réalistes, qu’on pourrait aussi appeler racialistes ontologiques : Ceux-ci, les "réalistes" des races (ça s’applique pour les ethnies, les cultures etc, mais pour les races c’est plus sulfureux), tiennent pour réelles en soi, indépendamment de notre connaissance, les races humaines. Qu’il les considèrent d’ailleurs comme exactement définissables, ou non.
De tels individus doivent, à l’évidence, être également des "réalistes" des catégories ou des universaux, tel qu’on l’entendait au moyen-âge.
C’est une opinion à laquelle on peut naturellement opposer plusieurs remarques, plus ou moins convaincantes (en plus de celles, bien sûr, émises par les nominalistes), parmi lesquelles celle du quasi-continuum génétique humain, ou bien l’absence de critère strict de définition des catégories intra-espèce comme la race (et la preuve qu’il n’y a qu’une espèce humaine est donnée par l’interfécondité jamais démentie).
- Les racialistes empiriques : eux suspendent leur jugement quant à la réalité des races (comme certains le font d’ailleurs de toute réalité en soi), mais ils estiment par exemple que la simple expérience humaine permet de catégoriser grossièrement des ensembles humains par tout un tas de traits, recoupables ou non par les données génétiques, mais finalement bien utiles pour communiquer, et de toute façon caractéristiques de l’appréhension globale et naturelle du réel par l’humain.
Ils ne voient pas au nom de quoi l’on ne pourrait pas nommer ces ensembles, qu’ils soient "construits" ou "découverts" par l’esprit humain, de la même façon qu’on nomme toutes les catégories qu’on projette sur le réel.
Dans leur approche, l’argument du continuum génétique ne tient pas tellement, le continuum des altitudes d’un paysage n’empêchant pas de nommer des chaînes de montagne, des monts et des sommets, utiles et pertinents à la fois, quand bien même ils ne le seraient qu’a des humains dialoguant.
Ils ont également pour eux un exemple fort puissant, celui médical du BiDil (rien à voir avec le RenDez-Vous), vasodilatateur destiné uniquement aux patients noirs (afro-américains en tout cas) car seulement efficace sur eux. C’était le thème d’un bon Continent Sciences de 2007, intitulé Sciences et Racialisme, bien sûr à cent lieues des lieux communs sur le sujet.
Bref, c’est ce racisme ou racialisme-là, empirique, contre lequel il me semble bien plus difficile de l’emporter argumentativement, et je serais intéressé par ce qu’aurait a leur reprocher Julie Clarini, et avec quelle réponse.
Ou plus simplement qu’elle traite complètement la question : envers quoi les racistes sont-ils racistes ?
Voilà, désolé de ce long écart au sujet.