Une conférence de G. Bachelard (donnée à la Sorbonne ?) a été diffusée sur la Chaîne nationale en 1949, intitulée :
La radio comme possibilité de rêve éveillé. Elle se découpe en deux temps de 45 minutes environ : la conférence elle-même et une séance de questions (un peu longue).
Un vrai trésor dans lequel Bachelard cherche comment la radio peut s'adresser à l'inconscient de l'auditeur en lui ouvrant des accès à la rêverie. Selon lui, il manque à la radio "l'heure des rêveurs, l'heure du calme". L'on s'amuse évidemment, comme bien souvent, de voir comme les archives des Nuits résonnent avec le F.C. 2015. Cette conférence aborde notamment deux aspects concrets de l'écoute d'une émission radiophonique : les indicatifs (ou génériques) et l'absence du visage.
En préambule, citons ce conseil avisé de Bachelard :
Si la radio doit trouver des thèmes d'originalité, elle ne doit pas être fantaisiste. L'art de la fantaisie, c'est une heure particulière, c'est une valeur tout à fait accidentelle, elle a son heure. Il faut que le monde s'amuse. Il faut que les enfants et les parents aient leur heure de détente. Mais la fantaisie ne dit pas tout. [son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2015/06/s23/RF_5B589F22-6B32-4C57-9013-D5F129C49363_GENE.MP3" debut="06:43" fin="07:18"]
A propos des "indicatifs", aujourd'hui appelés "introduction d'émission" ou "générique", Bachelard, qui ne cite aucune émission ou station particulière, reproche aux équipes techniques de composer des "brimades sonores" :
La radio n'est pas bien surveillée dès le commencement. Je voudrais qu'à côté de l'ingénieur d'antenne, de l'ingénieur du son, il y ait des ingénieurs - il faut créer encore le mot, il faut créer le concept - des ingénieurs psychiques qui disent : "Faites bien attention à ce que vous répétez. Vous blessez des oreilles". Il y a des indicatifs qui sont des brimades sonores. (...) On vous perce le tympan (...), tout cela grince et s'installe dans votre inconscient. (...) Souvent, n'est-ce pas, à la radio, si c'est pour entendre cet indicatif, tournons le bouton. Tant pis, s'il y a des belles voix par derrière, moi, je ne veux pas qu'on me fasse de la dialectique de l'affreux et du beau, surtout quand on commence par l'affreux. Voyez, par conséquent, il y a là un problème très, très important : l'indicatif, ça se répète tous les jours, c'est bien ça le problème de la structure de l'inconscient. Et alors, les indicatifs affreux de la radio, on va vous les mettre dans vos rêves nocturnes. On en entend pour commencer les cauchemars. (...) Les sensibilités tout-à-fait grossières des sens doivent être surveillées. (...) Faudrait les adoucir [les indicatifs]. (...) De la douceur avant toute chose, ça pourrait peut-être être dit au début d'une émission. [son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2015/06/s23/RF_5B589F22-6B32-4C57-9013-D5F129C49363_GENE.MP3" debut="09:47" fin="12:29"]
Par quels génériques d'émissions Bachelard serait-il heurté aujourd'hui ? Rappelons-nous ce que :
Philaunet a écrit: (...)
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On notera l'ambiance boîte de nuit avec la boîte à sons qui scande l'introduction durant environ 5 minutes. Finkielkraut, à Répliques, est lui précédé de la première variation des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach et ne parle pas sur les notes de piano jouées par Gould. Autres valeurs, autre univers esthétique, autres moeurs.
D'autres génériques anciens ou actuels mériteraient peut-être d'être cités.
Sur la place du visage à la radio mis en rapport avec l'intimité que représente la maison, Bachelard dit : (...)
L'absence du visage qui parle, ce n'est pas une infériorité, c'est une supériorité, c'est précisément l'axe de l'intimité, la perspective d'intimité qui va s'ouvrir. [son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2015/06/s23/RF_5B589F22-6B32-4C57-9013-D5F129C49363_GENE.MP3" debut="16:21" fin="16:43"]
Plus loin :
La radio a tout ce qu'il faut pour vous parler solitairement. Elle n'a pas de visage. Faut pas qu'elle ait de visage. (...) Il faut par conséquent que nous soyons dans le monde sonore, que nous soyons dans la logosphère. Il faut que nous écoutions l'hypnotisme auditif de la radio. Il faut que la radio nous mette en sommeil, en demi-sommeil. (...) Vous sentez que par cette voix qui vient chez vous, par cette voix qui a des antennes, il y a une boîte devant vous, vous pouvez en faire abstraction, il n'y a rien. Vous êtes dans une solitude qui n'est pas constituée, hé bien la radio vient vous la constituer. Elle vient vous la constituer autour d'une image importante, une image qui n'est pas à vous, qui est à tout le monde, une image qui est une image humaine, qui est dans tous les psychismes. Pas de pittoresque, pas d'amusement. La rêverie , vraiment radio-diffusée (...) derrière des sons bien faits.[son mp3="http://franceculture.fr/sites/default/files/sons/2015/06/s23/RF_5B589F22-6B32-4C57-9013-D5F129C49363_GENE.MP3" debut="30:05" fin="32:06"]
Une conférence que les techniciens chargés de la nouvelle mouture du site Internet de F.C., ainsi que leurs producteurs feraient bien de méditer.