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On hésite à dire qui est ce personnage typique de l’atypique, parfaitement classable oui mais dans tellement de boites qu’on ne sait pas laquelle ouvrir en premier : la plus essentielle ou la moins principale ? Théâtre, probablement, mais ça serait reléguer injustement tout le reste. Alors disons acteur, auteur, homme de théâtre et pour tout ça homme de radio, et encore poète, showman du monologue, qui mèle la dérision, l’humour noir, le désespoir ? D’abord acteur Roland Dubillard a commencé dans l’après-guerre à trainer son impassible fantaisie, de salles d’auditions en studios un peu partout où il pouvait placer son humour si personnel. Il était flanqué à cette époque de ses deux amis François Billetdoux et Pierre Dumayet, le second raconte que quand ils annonçaient à la suite leurs trois noms ça sonnait comme une blague alors qu’il n’y avait pas un seul pseudonyme sur les trois. Quoique la plus grande partie de son activité sera théâtrale, on le verra passer au cinéma notamment plusieurs fois chez Mocky, au total dans une cinquantaine de films où il introduit son personnage toujours décalé, à l’image de son rôle de concierge dans une cité de transit, sorte de Diogène de l’urbanisme moderne qui ponctue et conclut d’un petit morceau de bravoure le film de Jacques Baratier, « La ville-bidon ».
Il y en aura des sommets dans le parcours de Roland Dubillard : des succès au théâtre qui en feront de son vivant certes un classique de l’absurde, un absurde plus proche de Pirandello que de Ionesco, moins chargé du délire abstrait que de l’humble tragédie quotidienne de l’homme. Un classique de l’humour aussi, humour loufoque et nonsensique comme un Pierre Dac grinçant qui voudrait surtout ne pas faire hurler rire, mais peut-on faire de l’humour pour ne pas faire hurler de rire ? Dubillard visait autre chose que le gros rire. Et il savait s’y prendre, comme le montrent ses Diablogues qui furent fort bien servis par quelques grands comédiens tels Henri Courseau, Claude Piéplu, André Dussollier, Jacques Seiler.
Par chance pour nous, Roland Dubillard, c’est aussi de la radio. France Culture nous en offre périodiquement, avec par exemple un hommage spécial des Papous en 2 émissions (novembre 1998) ; et puis de Théâtre ou de fictions rediffusées, en entretiens Mémorables ; de Diablogues en Chemins de la connaissance dont il eut les honneurs en 2003 pendant une semaine complète (série « La maison des mots ») ; enfin, une chance pour nous, cette semaine dans les nuits avec cette lecture de Rilke. L’homme (Dubillard, pas Rilke) avait fréquenté le Club d’Essai de Jean Tardieu, un jardin-laboratoire qu’aujourd’hui à FC on ne cesse de nous présenter comme le modèle des modèles alors que la station s’échine à faire tout le contraire. Sur Inter quelques années plus tard, vint la série-feuilleton Grégoire et Amédée produite et écrite avec Philippe De Cherisey, qui préfigure les diablogues. A France Culture il y aura de la fiction et du théâtre. Encore plus tard, Dubillard sera l’un des esprits tutélaires planant par l'intermédiaire de son ami Bertrand Jérôme au-dessus de l’esprit des Décraqués, peut-être bien sans même le savoir tant sa façon d’être présent prenait parfois la forme d’une étonnante absence. Allons l’absurde serait-ce contagieux ? Figurez-vous ça : quand on connait Dubillard depuis toujours parce qu’on l’a toujours vu et remarqué (il faut dire que sa dégaine est à la fois excessivement normale et impossible à ne pas remarquer), quand on s’essaye à le croquer en seulement quelques lignes, on se surprend à lâcher de la formule nonsensique : « un homme grandement présent et pourtant toujours absent ». Et si justement c’était tout sauf de la formule ? Un cliché de la conversation dit que les hommes sont tous différents, seulement il y en a qui sont vraiment différents,
plus différents que les autres ajoutera celui qui voudrait remettre droit un vieux trick de Georges Orwell que des gens cultivés attribuent à Coluche. Eh bien Dubillard n’aura cessé de devenir avec le temps un de ces gens « différemment différents » parce que tellement autre, il semble ailleurs à chaque instant.
Reste sa présence enregistrée ou imprimée. Quand on n’a pas la chance de l’avoir encassetté, que ce soit avec sa mise en scène de « Naïves hirondelles » pour la télé française (mais ça on peut l’attendre en DVD lors de temps meilleurs), ou bien par sa voix radiophonée, alors un bon moyen d’entrer dans le monde de Roland Dubillard, c’est d’ouvrir le gros volume de ses «
Carnets en marge » édité par Diane Henneton chez Gallimard en 1998. 54 carnets de 1947 à 1997, où l’on voit l’artisan à l’oeuvre. D’ici jeudi et même après on en trouvera des extraits
ici-même.
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