Très dubitatif sur la qualité de l'Esprit Public aujourd'hui, malgré le décor prestigieux dont Meyer est fort satisfait (celui des Femmes savantes) : dans le premier sujet on nous informe sur l'état du parti Travailliste britannique après la démission de Brown, et l'annonce de la fin du New-Labour. Ca a l'air sérieux et ça l'est probablement. On apprend une foule de choses sur les différentes personnalités, institutions, concepts de la politique outre-manche, le programme du Labour et son évolution. Donc on se sent informés, instruits, mieux capable de comprendre et peut-être de juger de ce qui se passe là-bas.
Mais voici que dans le second sujet, on tire des plans sur la comète Fillon. Comme à son habitude Bourlange commence par une série d'effets rhétoriques qui mettent complètement à côté de la plaque pour qui a un peu de mémoire et se souvient que Fillon sous Chirac était un réformateur actif qui ne fut bridé que par l'immobilisme alors en vogue. Donc maintenant, parce qu'il ne joue pas le jeu des hâbleurs, Fillon ne ferait rien ; il se retranche dans un silence de séducteur mystérieux, et il accepte de se faire bouffer l'espace médiatique par le séducteur histrionnesque qu'est le Président. Tudieu quelle analyse ! Quant à Thierry Pech dont l'engagement a été clairement déclaré, presque tout son discours ne peut se comprendre et s'accepter que si on tient compte de ses implicites : Sarkozy a créé un régime malfaisant (ah bon c'est un régime ?), Fillon est son complice (le mot est exemplaire des connotations qui imprègnent toute l'intervention de Pech). Dans le même temps, chaque matin ou presque Huertas tartine sur l'éviction inéluctable, programmée, déjà quasi annoncée et assumée de Fillon hors du gouvernement. Et aussi tant qu'on y est, sur ses ambitions présidentielles. Etant donné que l'auto-critique n'est pas son fort, probablement les énormités de Hu-Hu comme dit Frédéric, elles passeront à la trappe. Or, chez Huertas comme chez Bourlange et encore plus chez Pech, tout cela est fichtrement interprété. Si leurs fantasmes ne se réalisent pas, on se demande comment ils viendront faire amende honorable. C'est pas du journalisme adulte, tout ça, c'est de la psychologie à la mords-moi l'oreille, et de la scie d'info-fiction qui reprend en gros l'interprétation lourdingue promue par Libé dans les premières années du Sarkozysme. On traitait Fillon de "fantôme" sous prétexte qu'il n'était pas médiatiquement présent, tandis qu'on commençait déjà à tirer sur Sarko parce qu'il était trop là. Ensuite on tressait des couronnes à Fillon parce que sa discrétion semble plutôt le signe d'un travailleur sérieux. Et maintenant parce que 2012 se rapproche ouh mon Dieu mais c'est demain matin, alors on fabrique déjà la bande-annonce du film où comme dans toute bande-annonce, on laisse espérer un peu tout et son contraire car une bande-annonce, c'est fait pour ratisser large dans le théâtre de marionnettes qu'est devenu l'info en France. Donc on donne à Fillon un peu tous les rôles possibles ; candidat-surprise, ambitieux masqué, glandeur incapable, séducteur latin (là Bourlange déconne à pleins tubes). Allons bon ces gens n'ont donc pas compris que le travail de gouvernement n'était pas un boulot d'histrion. Que je sache, le Premier Ministre a pour tâche d'organiser le travail du gouvernement. C'est plutôt Jospin qui, avec ses déclarations larmoyantes sur les accidents de la route spectaculaires, sur les résultats de foot, et sur la mort de Georges Harrisson, avait dégradé la fonction de 1er ministre.
En bref : c'est pas de l'info tout ça, et c'est pas non plus du journalisme. C'est du commentaire orienté, farci d'interprétation perso ou plutôt conforme à celles de l'air du temps, mais franchement pas étayé de rigueur.
Et l'auditeur dans tout ça ? Ben s'il fait partie de la majorité qui juge sans savoir ou plutôt de celle que les sondages prétendent être, c'est à dire des râleurs qui jugent sans savoir, manipulés par les gens de presse n'en finissant pas de prendre leur revanche sur celui qui les avait manipulés comme des mômes dans la campagne présidentielle de 2007, eh bien cet auditeur là est content : on remplace la réflexion par le jugement sans trop se casser à étayer autrement que par le préjugé implicite qui cautionne d'avance la descente en flammes. Comme si c'était là-dessus qu'il convient de juger une politique.
Mais l'auditeur qui n'est d'aucun camp, celui qui voudrait que les faits soient traités comme des faits et non comme du théâtre ou comme du ciné tour-à-tour Boulevard, Western, Polar d'affaires, Drame psychologique ? Oui, quid pour l'auditeur qui demande à sa radio des émissions d'info qui informent et non servent du jugement pré-digéré ? Eh bien cet auditeur là il est plus que jamais en droit de douter de l'intérêt de certains numéros de l'Esprit Public. Et dans celui-là, la couleur usée de la seconde partie bousille le sentiment de sérieux qu'on pouvait tirer de la première. Là je me demande franchement ce qu'en pense Henry, auditeur régulier de cette tranche, mais attentif autant que critique.
En tous cas si le sérieux de l'Esprit Public se résume maintenant (et c'est de plus en plus le cas) aux présentations de Philippe Meyer, eh bien qu'on lui donne Les Matins en entier, et non la quotidienne chronique à fins de détente qui, aussi bonne soit-elle, tombe chaque matin comme un cheveu sur la soupe.