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Accueil / France Culture

Du Grain à moudre (2009 - 2011)    Page 3 sur 6

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Nessie 


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Illich 4 - Sur le ring des bons copains, toute l'hystérie de l'époque - Mer 29 Sep 2010, 17:18

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Avant de continuer l’inventaire des graves contresens dans ce débat, il faut dire quelques mots des invités : hormis Marc Guillaume, il y avait Serge Latouche et Denis Clerc, qu’il n’a cessé d’appeler des « amis » mais sans trop se priver de torpiller leurs gloses. C'est fait sans passion malsaine, avec un mélange de cordialité débonnaire et probablement de désolation intérieure car il y avait de quoi être affligé d’entendre tant de confusion.

Serge Latouche fidèle à ses habitudes, sermonne à n'en plus finir. C'est pour lui que Julie a monté l'émission, pas pour Illich. Latouche se la joue grand-prêtre d'un Dieu disparu "il a tout inventé il y avait déjà tout chez Illich". Ce qui veut dire que lui Latouche, les militants, et les donneurs d'interminables leçons, ne font donc qu'exploiter ad nauseam de l'argument ancien, peut-être usé, peut-être même que ça n'est pas un argument, mais tout au plus un truc rhétorique ? Parce que dire "ce sont les pompes qui font couler le bateau", c'est une image forte, mais c'est surtout une image stupide. Les pompes ne font couler le bateau que chez les shadoks, or l'économie-shadok en France elle se trouve dans le modèle que défendent nos militants sous couvert d'écologisme, càd le modèle anti-libéral et celui du tout-service-public. Mais quand un rafiot d'entreprise libérale coule à cause des ses pompes montées à l'envers, d'abord il coule et on n'en parle plus, ensuite il ne traîne pas une honteuse misère d'organisation ubuesque pendant des générations comme nos ministères avec leurs Directions inégalement loufoques, ou notre Education Nationale que le monde nous envie. Donc que ses fans se rassurent : les tricks rhétoriques de Latouche seront présents pendant l'émission, et toutes les expressions catastrophistes ou hystériques seront convoquées à l’envi : la "logique infernale", la "destruction de la planète", la "destruction psychologique de l'esprit critique", la "fin de l'humanité" rien que ça ! Et puis l'impossible croissance infinie dans un monde fini, là c'est la version moderne de Malthus mais il ne le dit pas Latouche, qui préfère asséner qu'un enfant de 5 ans comprendrait ça facilement (à ce moment j'ai cherché dans la rue un enfant de 5 ans qui allait certainement m'aider à comprendre) et il cloue son adversaire avec un dernier signifiant dominant : "vous ne pensez pas comme moi, vous êtes donc comme Claude Allègre", dit-il en envoyant cette valda dans les gencives de Brice, disqualifié pour le compte par ce trick d'étiquetage infâmant. Ah quel sens du dialogue ce Latouche !

Il y a un autre invité, Denis Clerc, qui ne cesse de se mélanger les crayons avec des énormités qui ne changent pas grand-chose à son propos, mais montrent qu'il n'a pas les idées si claires. Exemple : il dit que tous les formidables progrès du monde moderne sont dus à la chimie (la chimie, cette Cendrillon des sciences, avait écrit Jean-Jacques). Et il cite comme exemple... la pilule contraceptive ! Pitié, mais pitié !! La pilule contraceptive doit à la chimie à peu près autant que le ciment ou l'aspirine ! La pilule contraceptive c'est de la biologie. Alors me direz vous encore : détail, détail ? Mais oui, détail, bien sur ! Détail qui montre que le type soit répète ce qu'il n'a pas compris, soit que la chimie de son cerveau a dépassé la date de péremption, soit qu'il s'en fout de la précision et va au plus pressé pour lâcher son message. La suite va confirmer, avec les confusions déjà citées plus haut : entre effet pervers et effet de seuil, entre effet pervers et contre-productivité, entre dépendance et aliénation. Or de tels amalgames conceptuels ne sont tout simplement pas acceptables.

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Dernière édition par Nessie le Mer 29 Sep 2010, 20:24, édité 4 fois

Nessie 

Nessie

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Illich 5 - D'où viennent les idées fausses ? - Mer 29 Sep 2010, 17:21

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- la confusion entre effet pervers et effet de seuil : Brice Couturier évoque Raymond Boudon qui n’a strictement rien à faire dans ce débat. Sa conceptualisation de l’effet pervers, dans l’optique d’une ambitieuse modélisation du changement social, n’a qu’un très lointain rapport de cousinage avec l’effet de seuil. Je renvoie à « Effets pervers et ordre social ». Boudon a longuement travaillé sur l’éducation, y a dépisté les effets pervers non de l’institution en général, mais de certaines politiques de l’institution. Et là sa pensée est aux antipodes de celle d’un Illich, qui lui réfute globalement le pouvoir de l’institution scolaire (comme de l’hôpital, d’ailleurs), pouvoir qu’il juge exorbitant et par là nocif. Pour la médecine et les maladies qu’elle crée, suscite, ou répand, Illich avait inventé le mot de « maladies iatrogènes », je me suis toujours demandé pourquoi on avait préféré « nosocomiale », apparu plus tard. En tous cas, si on veut en savoir plus sur des effets pervers simples, mieux vaut lire par exemple Michel Colin « L’effet pervers » (chez Anne Carrière en 1994). Et si on veut de l’effet pervers complexe pour illustrer comment, à terme, un système poussé à ses limites en vient à produire des effets néfastes, alors il faut lire Illich et pas Boudon.

- la confusion entre contre-productivité et productivité négative, entre infléchissement et recul. Le problème, c’est que les débatteurs ont systématiquement amalgamé entre elles la baisse du taux de productivité et la productivité négative, comme si seule la seconde existait. D’ailleurs là on est plus proche de l’effet de seuil, et encore une fois c’est beaucoup plus simple que ce qu’on trouve chez Illich. Mieux vaudrait lire « Small is beautiful » de Schumacher, ou éventuellement René Passet « L’économique et le vivant ». Je m’arrête là sur cette question, préférant céder à la facilité d’un peu de title-dropping plutôt qu’à l’exercice d’une lénifiante réfutation qui serait inévitablement tissée de trivialités à la Max Gallo. Mais si ces sujets vous inspirent, alors ouvrons autant de fils qu’il en faudra sans le sous- forum « La vie l’univers et le reste » puisque c’est le bistrot l’agora et le comptoir, on y refera la monde à coup de pensée écolo-systémique. Je n’aurai pas ressorti mes Illich pour rien... Et cette proposition vaut pour tous les autres points que je n’aurai fait que survoler dans cette déjà trop longue note.

- la confusion entre sentiment de bien être et bien être objectif : la frustration subjective s’accroît alors que les progrès objectifs s’accumulent. On trouvera l’explication chez Tocqueville, ou pour les moins patients dans des exemples lumineux donnés par Jean-Claude Chesnais ou Daniel Cohen. Mais si ce sont bien les problèmes de notre époque, le pastis qu’en fait Denis Clerc est à la fois maladroit et hors du sujet Illich. Et si dans cette récupération maladroite, les idées sont à la fois intéressantes, d’actualité, et en plus séduisantes par leur petit goût de paradoxe, Illich pardon mais il plane largement au-dessus de tout ça. La morale qu’on peut en tirer, c’est peut-être pas vraiment que le progrès est néfaste, mais plutôt que l’homme moderne n’est pas mûr pour en croquer les fruits sans se mordre en même temps profondément les doigts. Si l’insatisfaction domine (au fait est-ce si sûr, ou est-ce encore du catastrophisme de nos maîtres à penser ?), est-ce parce que l’amélioration objective des conditions de vie a des effets néfastes, ou bien parce que les attentes sont condamnés à croître plus vite que le progrès, tant que l’homme n’aura pas ouvert les yeux sur son propre infantilisme ?

- la confusion entre dépendance et aliénation : probablement la pire des énormités balancées par Latouche dans toute l’émission. Il ne prononce pas le mot d’aliénation, mais il fait pire : il qualifie de « toxico-dépendant » l’homme qui a besoin de l’école, de l’éducation, de la culture, de la médecine. On se demande pourquoi il n’y a pas aussi la famille, tiens, et puis le travail, et l’Etat ? Dira, dira pas ? non il ne va pas jusque là. Latouche n’a donc pas compris que la condition de l’homme c’est la dépendance ?? Que nous sommes tous dépendants de l’eau (ça il le sait, pourtant), de l’air, de la santé, de l’amour, du divertissement, de la bonne santé de nos proches, de tout ce qui est entré dans la sphère de nos besoins. Latouche ne veut plus de besoins, pouah c’est sale ! Latouche ne veut pas savoir qu’il y a un abîme entre dépendre d’un toxique qui vous détruit, et dépendre d’un remède qui vous assure la survie. La dépendance, notre condition, c’est vrai au plan biologique, c’est vrai aussi de l’homme social, et ça aussi bien pour le progrès concret, que pour le progrès immatériel, spirituel. Hubert Reeves disait de l’atome : « il est éternel, et il n’évolue pas – ça va ensemble ». De l’homme social on peut dire (et pour ça, pas besoin d’avoir suivi des cours de philo) : « plus il progresse, plus il est dépendant – ça va ensemble ». Le déplorer, c’est en être conscient. Mais vouloir que cela ne soit pas, c’est renoncer à tout ce dont on profite comme progrès, et là c’est comique, car comme Brice ne va pas le lui envoyer dire, ceux qui fustigent le « toujours plus » des sociétés modernes, ne cessent d’activer leur propre niveau d’exigence, de même qu’on demande toujours plus de services publics tout en se réclamant d’Illich, alors que lui réclame toujours plus de distance d’avec les institutions, toujours plus d’autonomie pour l’homme. L'auto-contradiction est partout dans la parole de Latouche, à moins que ce ne soit carrément de l’incohérence ? Ou plus classiquement, pratique constante de l’aberration sémantique. Dépendance, toxico-dépendance, dit-il, ah la vache, au secours Korzybski !! Il y a de sérieuses leçons de sémantique générale qui se perdent...

- après tant de bêtises, il faudrait finir sur une note optimiste ; Marc Guillaume couronne tout ce pastis, peut-être amusé, peut-être effondré, par une série de précisions faites « en style télégraphique », dit il. En quelques traits secs, il livre un constat bref sans pessimisme ni optimisme, qui résume l’état de la question. En 50 secondes il montre que pour parler du monde moderne, on n’avait pas besoin des 33’ de verbiage qui ont précédé. Ou peut-être, il laisse regretter ce qu’aurait pu être ce débat si on y avait remplacé la confusion des idéologues par le propos du polytechnicien non primaire. Mais ça, c’est pour les bons numéros du Grain à moudre, donc pas celui-là, qui fut instructif surtout par ses erreurs, comme autant de chantiers à travailler.

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Dernière édition par Nessie le Mer 29 Sep 2010, 20:28, édité 1 fois

Nessie 

Nessie

23
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Illich 6 - Mais on ne peut pas trahir à 100% l'icône qu'on voulait célébrer... - Mer 29 Sep 2010, 17:23

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La où l'émission est malgré tout Illichienne, c'est quand on y exploite autant qu'on peut la forme du raisonnement Illichien. Forme qu'on trouve déjà dans les travaux de l'Ecole de Francfort, qu'on entendait chaque semaine en antienne de précaution dans les cours de Bruno Lussato, et que Henry va nous trouver probablement chez Aristote. Faut-il Illich pour ça ? A-t-on vraiment besoin des exemples discutables d'Illich pour comprendre qu'aucune idée ni aucun principe ne saurait être valable et pertinent dans l'absolu, mais que sa validité finit par s'inverser si on tente de le pousser ad infinitum. Que parvenu à une certaine limite, son efficacité change de signe ; enfin d'abord son efficacité marginale se réduit, puis elle s'inverse, suivie longtemps après par son efficacité globale. Ceci est vrai aussi bien pour le quantitatif où la baisse tendancielle du taux de profit peut effectivement à terme rencontrer le zéro absolu puis les valeurs négatives ; aussi vrai au plan qualitatif : une bonne idée, d'être trop appliquée, finit par en devenir mauvaise. L'excès en tout et mauvais. Le mieux est l'ennemi du bien. Il faut vraiment une émission entre têtes d'oeuf et l'évocation d'une icône radicale pour en arriver à de telles trivialités ? Même pas, car l'émission sert à autre chose : dire des âneries. Et ils ne s'en sont pas privés. Voyez un peu, par exemple, comment Denis Clerc à ce moment précis de son développement pourtant assez finaud, s'exprime à son tour en hystérique "inévitablement c'est la catastrophe". Mais non mon cher, arrêtez de nous mettre la rate au court-bouillon, c'est pas la catastrophe ! Simplement ça marche de moins en moins bien jusqu'à ce que ça ne marche plus, et c'est tout. Ou bien ce qui n'apportait que des avantages finit à terme par générer des inconvénients, et même des neufs. C'est ça le destin des principes : rencontrer un jour leurs limites. Et si on décide (quand même) d'affiner la chose, on dira que même ce principe-là, le principe Illichien qui est sain et utile, rencontre à son tour sa limite, qu'il n'est pas toujours vrai ? C'est Marc Guillaume qui glisse cette savonnette sous les orteils de nos simplificateurs : il se paie le tout petit luxe d'appliquer à Illich le principe Illichien. S’il avait été présent dans le studio, le fantôme de Bertrand Russel aurait signalé l’erreur logique, le mélange des niveaux. A moins que ce principe Russellien ne soit à son tour soumis à ses propres limites ? C'est peu probable, mais enfin ce sont là des noeuds de la dialectique.

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Dernière édition par Nessie le Mer 29 Sep 2010, 17:34, édité 3 fois

Nessie 

Nessie

24
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Illich 7 - Partition inachevée pour piano à sornettes - Mer 29 Sep 2010, 17:25

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Il y avait donc beaucoup de choses à dire de ce débat sur l’actualité de la pensée d’Illich. Dans un forum radio, le risque serait de ne parler que de cette pensée et d’oublier le débat lui-même, car c’était un moment assez symptomatique de ce qui se passe dans la vie des idées et donc à France Culture quand on s'y intéresse aux idées. Or celles d’Illich et sa pensée, ce qu’elle a de dépassé ou de génial, d’inspiré ou de loufoque, d’inadapté ou bien de pas assez creusé par ceux qui l’exploitent sans trop se soucier d’exactitude, elle n’est pas à l’ordre du jour, sinon réactivée mais aussi déformée par ceux qui sen voudraient les successeurs. Et ça ne fait honneur ni à eux-mêmes, ni à leur glorieux modèle. De même qu’on dit couramment qu’il ne faut pas confondre le marxien d’avec le marxiste, le premier étant ce qui ressortit à l’auteur et le second à qui le récupère, eh bien en ce qui concerne les zélateurs d’Illich entendus ce jour-là : ils sont clairement dans le second cas, des récupérateurs au mieux trompés par leur enthousiasme, au pire des faussaires, et entre les deux, peut-être bien des propagandistes qui ne s’embarrassent pas de détail, puisque c’est pour le bon motif. Du moins ils peuvent le croire.

Cette discussion de 40 minutes était donc un piège pour tout le monde. D’abord un piège pour les deux producteurs qui ont aligné les erreurs, malgré les efforts de Brice pour mettre Latouche face à ses contradictions, mais soit en invoquant une référence peu pertinente (Boudon), soit en se laissant bloquer par un trick élémentaire (l'autre l'assimile à Allègre). Ensuite pour Latouche et Denis Clerc venus chacun comme représentants de commerce de leurs convictions politiques, et chacun récupérant Illich pour l’exploiter sans prendre de gants, c’est à dire le trahir tout en lui tressant des couronnes. Délibérément, consciemment, ou pas ? Par raccourci didactique ou par priorité de militants ? Pressés par la contrainte de temps ou par l’image qu’il se font (ou qu’on leur a donnée) de l’auditeur ? Chi lo sa ? En tous cas c’était un piège pour l’auditeur aussi, emmené en bateau pendant la majeure partie de ces 40 minutes farcies d’approximations fautives, de dénis d’évidence, de contresens qu’on ne pardonnerait pas à un élève de terminale. Et c’est bien là l’énigme principale du débat, et la question qui revient : comment des gens si évidemment intelligents et instruits peuvent-ils placer en si peu de temps, autant de contresens et d’aussi énormes ? Par un court-circuit amusant, on pourrait expliquer la chose en adoptant une rhétorique Illichienne : les médias ont dépassé leur seuil de productivité démocratique, et un média comme France Culture, loin d’enrichir l’esprit et de favoriser la culture des idées, en vient à vendre surtout du signe, du faux semblant, du confort intellectuel, et de l’information factice. Mais ça n’est pas chez Illich qu’on trouvera tout ça, plutôt faudrait-il plutôt chercher chez Karl Kraus, autre icône récupérée par les contestataires de l’ultra-gauche.

Et finalement c’est un drôle de destin, quand on y songe, que celui des Ellul, Illich, Orwell, Kraus, récupérés après leur mort par la sophistique d’idéologues qu’ils n’auraient sûrement pas cautionnés. Au mieux les deux premiers auraient tolérés ces encombrants émules avec une relative indulgence. Pour le troisième franchement je n’en sais rien. Quant au quatrième, là dessus je n’ai aucun doute : sans leur laisser faire un pli, Kraus les eût évidemment descendus en flamme un soir à Vienne au Konzerthaus dans sa lecture de Die Fackel. Descendus en flamme comme liberticides, comme escrocs intellectuels, comme manipulateurs et comme faussaires avérés. Nul n’est obligé d’être aussi sévère que Kraus, mais c’est bien dommage que ça ne les fasse pas un peu plus douter, nos intellectuels et nos médiateurs et les autres façonneurs d’idées, et comme on l’a dit plus haut, qu'ils soient idéologues, militants, ou honnêtes gens de la meilleure radio. Oui c'est dommage car hormis Marc Guillaume qui ce jour là sauve l’honneur, pour la plupart d’entre eux ces gens au mieux ils patinent, au pire ils mentent.



Dernière édition par Nessie le Ven 10 Déc 2010, 15:02, édité 4 fois

antonia 


25
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Re: Du Grain à moudre (2009 - 2011) - Mer 29 Sep 2010, 18:56

Bonjour Nessie,
j'espère vivement que ce sujet : Illich, Orwell, et les autres va inspirer des forumers. Autrefois, j'ai "beaucoup aimé" Illich et l'ai un peu relu, il y a quelques années mais en me posant beaucoup de questions , notamment sur ses idées concernant l'éducation.Et n'ayant jamais trouvé personne pour en discuter, pourvu que certains entament la discussion que je serais incapable de mener maintenant.
Je ne saurais rien en dire aujourd'hui et il me faudra au moins une semaine pour digérer vos contributions si documentées et réfléchies.

Lola 

Lola

26
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Re: Du Grain à moudre (2009 - 2011) - Mer 29 Sep 2010, 20:52

Par un court-circuit amusant, on pourrait expliquer la chose en adoptant une rhétorique Illichienne : les médias ont dépassé leur seuil de productivité démocratique, et un média comme France Culture, loin d’enrichir l’esprit et de favoriser la culture des idées, en vient à vendre surtout du signe, du faux semblant, du confort intellectuel, et de l’information factice. Mais ça n’est pas chez Illich qu’on trouvera tout ça, plutôt faudrait-il plutôt chercher chez Karl Kraus, autre icône récupérée par les contestataires de l’ultra-gauche.

Ou ... les médias et la culture (qui est une "chose" molle) participent de la démocratie d'opinion et de la déchéance démocratique. Tout cela, ce sont des débats. ILs n'ont objectivement aucune importance. Or ils existent comme faux semblants.
Et FC contribue à la bêtise parce que FC suit le conformisme social et que le conformisme social aime à se voir "cultivé". Or être cultivé veut tout dire et ne rien dire. C'est un vague marqueur social. Rien de plus. Et c'est bien pour cela qu'il doit demeuré mou, du côté du blabla parce que c'est facile et que ça ne demande aucun effort.

Quant aux invités, pourquoi s'emmerderaient-ils ? Il y a deux ans Luc Ferry a fait plein d'émissions sur FC en une journée. Chez Voinchet, chez Laporte, il s'est répandu en conneries.
Curieusement, chez Enthoven, il a fait gaffe. On pouvait même le trouver plutôt intelligent et fin. Et pourquoi ? Mais parce qu'il faisait attention avec Enthoven. Chez les deux autres, il savait qu'il pouvait raconter n'importe quoi, ils n'y connaissent rien et devaient être bien trop flattés de le recevoir.

Pour ce qui est de Brice Couturier, je ne sais que dire. Je ne connais rien à Illich. Il se peut qu'il se soit laissé déborder car il ne m'a jamais paru démagogue ou idiot.

Henry Faÿ 


27
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la conspicuous consumption de Thorstein Veblen - Dim 03 Oct 2010, 08:58

Du Grain à moudre (2009 - 2011) - Page 3 220px-Veblen3a
Thorstein Veblen


Nessie a écrit:./...

- la confusion entre sentiment de bien être et bien être objectif : la frustration subjective s’accroît alors que les progrès objectifs s’accumulent. On trouvera l’explication chez Tocqueville, ou pour les moins patients dans des exemples lumineux donnés par Jean-Claude Chesnais ou Daniel Cohen. Mais si ce sont bien les problèmes de notre époque, le pastis qu’en fait Denis Clerc est à la fois maladroit et hors du sujet Illich. Et si dans cette récupération maladroite, les idées sont à la fois intéressantes, d’actualité, et en plus séduisantes par leur petit goût de paradoxe, Illich pardon mais il plane largement au-dessus de tout ça. La morale qu’on peut en tirer, c’est peut-être pas vraiment que le progrès est néfaste, mais plutôt que l’homme moderne n’est pas mûr pour en croquer les fruits sans se mordre en même temps profondément les doigts. Si l’insatisfaction domine (au fait est-ce si sûr, ou est-ce encore du catastrophisme de nos maîtres à penser ?), est-ce parce que l’amélioration objective des conditions de vie a des effets néfastes, ou bien parce que les attentes sont condamnés à croître plus vite que le progrès, tant que l’homme n’aura pas ouvert les yeux sur son propre infantilisme ?

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Il est vrai que c'est un peu énervant de voir Serge Latouche mettre en avant cette idée du décalage entre progrès matériel et frustration qui persiste et même s'aggrave sans citer ses sources et la source, jusqu'à plus ample informé, c'est l'économiste américain d'origine norvégienne Thorstein Veblen qui a bien décortiqué le phénomène de la consommation ostentatoire dans son ouvrage théorie de la classe de loisirs où il montre que les biens ont avant tout une valeur symbolique, les biens sont bien plus qu'autre chose des marqueurs de statut social, la grande affaire c'est avoir autant ou plus que le voisin à qui on peut se comparer, on est ainsi entraîné dans une course sans fin, épuisante et absurde.

Cette idée très forte qui si on y pense met en cause le bien-fondé de l'effort productif a inspiré beaucoup d'auteurs, notamment Jean Baudrillard; elle avait été reprise dans un formidable bouquin par John Kenneth Galbraith the affluent society, l'ère de l'opulence 1958. J'avais cru quand j'avais lu ce livre que l'idée était de lui, ce n'est que longtemps après que j'ai appris qu'il n'en était rien.

Plus récemment, Daniel Cohen avait rendu compte d'une thèse d'une jeune économiste, sans doute son élève sur la "jalousie motrice" qui établissait une distinction fort intéressante. Dans les pays en croissance, on n'éprouve pas de frustration à voir le voisin s'enrichir, on est comme l'automobiliste qui sur une autoroute bloquée voit la file d'à côté redémarrer et qui se dit, bientôt ce sera mon tour. Au contraire, dans les pays dont l'économie est stagnante, voir le voisin s'enrichir provoque de la frustration, c'est comme ça. Malheureusement, je n'arrive pas à retrouver cette étude citée par Daniel Cohen et le commentaire que j'avais écrit à l'époque dans un forum qui a disparu.


Du Grain à moudre (2009 - 2011) - Page 3 0035

Henry Faÿ 


28
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reportez vous à la classification des désirs selon Epicure - Dim 03 Oct 2010, 09:30

Du Grain à moudre (2009 - 2011) - Page 3 220px-Epicurus_Louvre

Nessie a écrit:./...



- la confusion entre dépendance et aliénation : probablement la pire des énormités balancées par Latouche dans toute l’émission. Il ne prononce pas le mot d’aliénation, mais il fait pire : il qualifie de « toxico-dépendant » l’homme qui a besoin de l’école, de l’éducation, de la culture, de la médecine. On se demande pourquoi il n’y a pas aussi la famille, tiens, et puis le travail, et l’Etat ? Dira, dira pas ? non il ne va pas jusque là. Latouche n’a donc pas compris que la condition de l’homme c’est la dépendance ?? Que nous sommes tous dépendants de l’eau (ça il le sait, pourtant), de l’air, de la santé, de l’amour, du divertissement, de la bonne santé de nos proches, de tout ce qui est entré dans la sphère de nos besoins. Latouche ne veut plus de besoins, pouah c’est sale ! Latouche ne veut pas savoir qu’il y a un abîme entre dépendre d’un toxique qui vous détruit, et dépendre d’un remède qui vous assure la survie. La dépendance, notre condition, c’est vrai au plan biologique, c’est vrai aussi de l’homme social, et ça aussi bien pour le progrès concret, que pour le progrès immatériel, spirituel.


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J'avais écrit dans un précédent message que ce débat me donnait une impression déprimante de déjà vu, déjà entendu, de réchauffé, toujours les mêmes trucs depuis déjà environ quatre décennies, que c'est lassant et ça ne nous rajeunit pas. Quant à Latouche, lui, il ferait bien d'aller se ressourcer auprès d'un remarquable auteur du... quatrième siècle avant Jésus Christ, Epicure qui avait établi une classification qu'on pourrait qualifier de définitive des désirs, désirs naturels et parmi eux les désirs nécessaires (pour le bonheur, pour la tranquillité du corps, pour la vie) et les désirs vains (artificiels et irréalisables). Tout a alors été dit, depuis, que des redites. Latouche et consorts devraient avoir cette classification des désirs dans leur poche et éviter de nous bassiner avec leur "toxico-dépendance".

Les écolos tendance dure à laquelle je n'appartiens pas sont des épicuriens qui s'ignorent ou qui ne s'ignorent pas et je les en félicite, personnellement, je le leur laisse et ne ferais qu'un bref séjour dans cet ennuyeux monastère qu'est le jardin d'Epicure.

Du Grain à moudre (2009 - 2011) - Page 3 0035



Dernière édition par Henry Faÿ le Dim 03 Oct 2010, 10:09, édité 1 fois (Raison : correction et ajouts)

antonia 


29
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du grain a moudre: impôts sur la consommation - Lun 13 Déc 2010, 21:16

ce soir, l'invité principal était Robert Frank, américain de la Cornell university, qui parlait au téléphone et qui vient d'écrire un livre sur l'intérêt d'un impôt sur la consommation.Ce livre vient d'être traduit par des Suisses et a fait l'objet d'un article-interview dans Books (la journaliste réalisatrice de cette interview était là aussi)
Robert Frank a remarqué ceci dans la société américaine : les gens très riches ont un certain niveau de consommations d'un extrême luxe de plus en plus élevé. Cela ne serait peut-être pas bien grave si les couches sociales disposant de revenus inférieurs n'étaient pas incitées à élever aussi leur niveau de consommation de luxe: ainsi, c'est devenu la régle d'inviter un clown pour l'anniversaire de son gosse dans des milieux très moyennement fortunés.Et ceci, jusqu'aux pauvres.Or, le niveau d'endettement est très élevé aux USA justement pour avoir la maison conforme à son milieu, la bagnole, etc. Il propose donc de créer un impôt spécifique sur la consommation: on demande aux ménages le montant de leurs revenus et le montant de leur épargne ; en faisant la soustraction, on connait leur consommation et, partant de là, on leur colle un impôt , évidemment décroissant selon le niveau de cette consommation. Cela , en même temps, incite à l'épargne.
Je n'ai absolument la compétence pour juger si c'est faisable ou non. Par contre, il y en avait un, un invité, qui n'avait pas l'air content du tout, M. Le Cacheux, spécialiste des impôts. Ce type de constatation réaliste, ça ne fait pas partie des schémas mentaux des économistes( qu'on entend) , des syndicalistes, des politiques français . Comme les trafics dans les banlieues, comme le peu de rendement de l'enseignement primaire .
Or, chacun peut constater qu'il est devenu presque obligatoire de faire des cadeaux coûteux pour les anniversaires des amis de ses enfants, qu'il faut offrir du champagne pour la moindre réunion, etc , etc, et quand on a enseigné dans des milieux pauvres, on sait à quel point les familles sont sont influencées par ces pratiques (cf les écrans de télé dans chaque chambre, la nourriture à demi préparée dont les gens ne savent pas lire le mode d'emploi, etc) .
Mais ça, apparemment, personne ne veut en parler. Ce que tout le monde préconise, c'est de donner de l'argent aux gens qui n'ont pas les moyens de faire ces cadeaux coûteux à leurs mômes.
Ah, mais M. Le Cacheux, il était pas content qu'on parle de ça. Cela ne se fait pas.Il faut mieux des impôts "vertueux", par exemple selon le niveau de carbone que ça utilise. (bonjour les calculs) clown ······

Cancoillotte 

Cancoillotte

30
Répondre en citant  
Re: Du Grain à moudre (2009 - 2011) - Lun 13 Déc 2010, 22:14

Je vous trouve un peu sévère avec Le Cacheux. (oui, mon commentaire ne sert à rien)

En tout cas, ça me fait penser à une autre émission: je me souviens de Thesmar citant la théorie du winner takes all pour commenter un débat sur les inégalités, prouvant une fois de plus qu'il est à chaque fois le seul des invités de Dominique Rousset à se préocupper de maintenir un peu les auditeurs au courant de ce qui se fait actuellement dans la recherche en économie.

antonia 


31
Répondre en citant  
Re: Du Grain à moudre (2009 - 2011) - Lun 13 Déc 2010, 22:57

Cancoillotte a écrit

Cancoillotte a écrit:Je vous trouve un peu sévère avec Le Cacheux. (oui, mon commentaire ne sert à rien)
.
[b]
bonsoir Cancoillotte
pourquoi ne sert-il à rien le commentaire?
Je ne connais pas du tout Le Cacheux, mais qu'a -t-il dit d'intéressant à part: "faut surtout pas provoquer une baisse de consommation"Peut-être, peut-être, mais est-ce si déraisonnable ce que propose Frank?···

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