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Pour autant, je n'ignore pas les nécessaires réserves suivantes :
- En premier lieu, ce qui précède ne vaudrait que pour certaines des filières : principalement littéraires et sciences humaines. Je n'ai rien à dire des ressortissants des filières scientifiques, et guère non plus de ceux qui poursuivent leur cursus à l'IEP ou à l'ENA. Quand bien même il m'arrive de déplorer parfois de leur part quelque sophisme par exemple quand ils viennent au micro de Stéphane Deligeorges, c'est toujours hors de leur spécialité, tandis que pour cette dernière je ne crois pas les avoir jamais vus en difficulté ou démasqué comme rigolo par un contradicteur sourcilleux. Au contraire des énormités d'un Xavier de la Porte qui étaient déjà des énormités croquignolettes pour un agrégé de Lettres. Je ne dis rien du galurin d'Augustin Trappenard, ça aussi c'est hors-sujet.
- Deuxième précaution que j'aurais pu placer en première position : n'est-ce pas aller bien vite en généralisation ? Après tout, quelques douzaines de brèles dotés d'une trop grande visibilité ne devraient pas autoriser à porter le diagnostic de décadence sur toute l'institution. Au contraire, ne pourrait-on parier que la partie la plus visible de l'iceberg soit tout simplement la plus polluée, tandis que la partie cachée reste intacte ? France Culture ne serait alors que le repaire des apostats, moins doués pour l'exercice de l'enseignement que pour plastronner au micro d'une radio de frimeurs ou pour s'infiltrer dans les appareils militants. Après tout, peut-être les plus arrivistes parmi les reçus n'avaient-ils passé le concours que dans la perspective de truster au plus tôt des places enviables, indépendamment de toute aspiration à la mission universitaire.
- Enfin il y a l'erreur de perspective : pour qui ne connaît des générations passées que les noms les plus prestigieux, un regret rétroactif infondé serait une Nième application du mythe de l'âge d'or, bien connue tarte à la crème des négationnistes de la baisse du niveau. Et c'est bien de baisse du niveau qu'il est question, cette autre tarte à la crème de l'esprit polémique dans ce pays, où les tenants de l'optimisme et du pessimisme ne cessent de se tamponner : d'une part les scrogneugneu passéistes et de l'autre les analystes finauds qui dénoncent systématiquement tout regret rétrospectif comme indice de l'esprit réactionnaire. Notons que dans aucun des deux camps on ne se prive de jouer à l'esprit fort.
De là, la suite de la réflexion serait sinon une proposition d'enquête, au moins les grands traits d'une comparaison entre les générations de normaliens. Il serait intéressant d'obtenir des réponses à ces questions :
1./ quid du savoir et de la qualité de l'enseignement que délivrent les agrégés une fois sortis de l'ENS ? Voila bien la question fondamentale et elle est hors de notre portée. Difficile à construire serait l'enquête qui fournirait une réponse, mais justement mon intuition est que la réponse serait peut-être bien en cohérence avec celles des deux questions suivantes :
2./ quelle part des ressortissants de l'école s'oriente vers des carrières n'ayant guère à voir avec l'Université ? Cette part a-t-elle évolué en 50 ans ? Apparemment indépendante, cette question pourrait éclairer indirectement la précédente. Surtout si l'on réintroduit dans l'enquête la comparaison entre les anciens des filières scientifiques et ceux des filières littéraires (ultérieurement je reviendrai sur cette astuce ).
3./ comment évaluer la production intellectuelle des anciens élèves : combien d'oeuvres mémorables sont sorties de leurs cerveaux ? Combien chaque année depuis 50 ans? Et au fil des générations, à quel âge voit-on le normalien livrer ses premiers grands travaux ? Ou bien ses derniers, si on veut. Ainsi comment se fait-il que 20 ans après avoir quitté le sérail, un Raphaël Enthoven qui passe pour un des plus brillants de sa génération, n'ait rien produit qui vaille sinon quelques méchants petits bouquins de philo pour débutants ? Où sont les pendants des Aron, Sartre, Foucault, Veyne ? Où en étaient-ils à l'âge d'Enthoven ? Notez bien que je ne remonte pas jusqu'à Durkheim ou Marc Bloch. Mais en suivant le courant dans l'autre sens, voyez même le parcours d'un Jeanneney ou d'un Finkielkraut : n'y a-t-il pas déjà une différence de qualité et de profondeur avec ceux à qui France Culture déroule aujourd'hui le tapis rouge ? Et franchement, nos déjà-stars du monde médiatique passés par France Culture, les Trappenard et les Demorand, peuvent-ils s'aligner ?
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Dernière édition par Nessie le Mer 31 Déc 2014, 07:30, édité 3 fois