Acteur tantôt ignoré, tantôt décrié par la critique des années 60 et 70, souvent conspué par les cinéphiles de ces mêmes années autant pour ses films que pour ses rôles, mal aimé par tous ceux qui ont tourné avec lui - techniciens et réalisateurs inclus -, mais populaire chez tous les autres...
A l'heure où Fernandel et Bourvil sont plongés dans l'oubli (leurs scénaristes, dialoguistes et réalisateurs avec eux), de Funès rayonne et trône.
Télérama rend hommage à cet acteur-onomatopée et mauvais mime ; un ouvrage lui tresse des lauriers ; la jeunesse - celle qui, comme un fait exprès, n’a ni queue ni tête -, ne tarit pas d’éloges à son sujet – on évoque des « de Funès-party » jusque tard dans la nuit.
Autre temps, autre mœurs ! On a perdu Fernandel. On nous a imposé de Funès auprès de Bourvil, avant de perdre ce dernier.
On a perdu l'homme de la rue, droit, réservé, honnête, plutôt généreux, un peu naïf par la force des choses… et pour toute consolation, on nous a servi à l’écran, un personnage sans qualité, cupide, inculte, arriviste, violent et accapareur, sans un seul regard critique de la part de ceux qui le mettaient en scène dans des films sans point de vue, le plus souvent.
En effet, on remarquera l'absence totale d'humour et d'auto-dérision, voire de distance, dans les personnages et le jeu d'acteur de de Funès. Au cirque, chez les clowns, et pour peu qu'il ait pu y trouver une place - et rien n'est moins sûr -, de Funès ne serait non pas l'Auguste mais le contre-pitre, et pas n'importe lequel : un contre-pitre inédit donc qui se prendrait alors, sans toutefois soupçonner un instant en lui cette supercherie, pour le clown blanc, et fatalement : la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf, et ce bien qu'il ne possède aucune des qualités de l'une ni de l'autre.
Fort d'un soutien populaire qui ne s'est jamais relâché, ce personnage égocentrique dont chacun de ses rôles est dépourvu de qualités humaines, fait donc aujourd'hui l'unanimité dans la presse cinéphilique comme dans l'édition et même chez France Culture.
Ce qui frappe, c’est l’absence de regard critique de tous les acteurs de ce qu’il faut bien appeler « la réhabilitation de Louis de Funès ». Sans mentionner un seul de ses films, un seul de ses rôles - comme si de Funès se suffisait à lui tout seul -, tous n’ont pas de mots assez forts pour exprimer leur admiration pour cet acteur "génial" et de célébrer, outre un moment de société qui n’en finit plus de mourir (1) - agonie à l’infini et à une échelle temporelle maintenant digne d'une civilisation -, un petit homme au visage ingrat, un personnage-archétypal sur-excité, mesquin, méprisant, avare, obtus, borné, envieux, impitoyable avec les faibles et docile avec les puissants.
Sans doute dupes de ce qui nous est donné à rire - même si, après tout, rien ne nous empêche de nous demander au détriment de qui et de quoi on rit -, célébrer aujourd’hui le cinéma d’un de Funès sans y jeter un regard critique, n’est-ce pas célébrer la loi du plus lâche face aux puissants ainsi que la loi du plus méchant face aux plus faibles ?
A y réfléchir de plus près : tout ce qui est mal n'est-il pas bon, et ne fait-il pas du bien ? Aussi, rire avec Louis de Funès, à défaut de rire de lui, n’est-ce pas rire de tout ce qu’on n’ose pas soi-même assumer car, tout ce qu’on a rêvé, de Funès ne l’a t-il pas fait ?
Rire exutoire que ce rire-là : rire du faible à propos d’un plus faible que lui. Belle revanche des vaincus ou des humiliés qui s’ignorent autant qu’ils sont lâches et heureux de l’être, et aujourd’hui plus encore, ce rire qui n'en finit pas de résonner, génération après génération…
Tocsin de l'âme...
Âme funeste.
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1 – On pensera à Sarkozy… un Sarko consécration d'un Louis de Funès. Même si… quitte à choisir, en tant qu’homme d’Etat, il y avait Louis XIV ! Mais… sans doute finit-on par s’offrir la parenté de substitution que l'on mérite.