À l’heure où la présence au second tour de l’élection présidentielle d’un parti anti-démocratique qui n’a jamais dupé personne a été rendu possible par nombre de journaux complaisants, où de grotesques personnages aux propos négationnistes et fréquentations immondes ont été mis sur un pied d’égalité avec des hommes et femmes politiques républicains, le temps choisi par Perrine Kervran pour présenter sa série consacrée à
l'art dégénéré (03-06 avril 2017) est on ne peut plus approprié.
Ci-dessous, vous trouverez un résumé du premier numéro, ainsi que les reproductions des oeuvres décrites citées au micro par les intervenants.Depuis 1933, dernière année connue de la possession régulière de l’œuvre, plus personne n’est en mesure de dire dans quelle demeure est conservée la toile de Georg Grosz intitulée :
Allemagne, un conte d’hiver (1917-1919) (d’après un poème de Henri Heine) (4). Autrement dit : qui la détient illégalement. C’est par ce récit que commence le premier numéro de
La série documentaire consacrée à l’art dégénéré.
Le lendemain de l’incendie du Reichtag (1933)
, des SA [ou Sturmabteilung, organisation paramilitaire du parti nazi, le NSDAP, dont est issue la SS]
ont fait irruption dans l’appartement de Grosz qui se trouvait tout près d’ici dans la Trautenaustrasse. Comme l’appartement était vide, ils se sont rués dans la Nassauische Strasse, où Grosz possédait un atelier depuis 1910. La porte était fermée, ils l’ont fracassée, et saccagé tout l’atelier à la hache. Si les SA étaient tombés sur Grosz, ils l’auraient tué sur le champ. Et les 300 œuvres de Grosz qui avaient été saisies dans les musées, ou dans les collections privées dans le cadre de l’opération « art dégénéré » ont presque toutes disparu. Munich, fin des années 20, la tradition domine dans les musées. La peinture allemande de la deuxième moitié du XIXe siècle est prisée, la ville opposée à la République de Weimar et sa culture jugée trop moderne grouille de mouvements nationalistes, le retour à la terre et aux canons de beauté classiques signent le repli d’un peuple en quête de ses origines. En 1933, Munich est baptisée capitale de l’art allemand, puis en 1935, capitale du mouvement national-socialiste. La ville devient la synthèse d’un programme artistique et politique dominé par la question raciale qui trouve sa première manifestation en 1937 dans l’organisation de deux expositions concomitantes : l’une officielle, à tendance néo-classique, consacrée à l’art allemand. L’autre, support de contre-exemple à la première, met en scène la collecte d'un art dit « dégénéré ».
Les buts recherchés sont multiples. D’abord le traitement binaire vise à opposer un art « sain », dont les manifestations relaient un accord avec la nature, et un art « dégénéré », présenté comme an-historique, individuel (qui n’est pas l’expression d’un groupe racial) et produit par des auteurs malades, c’est-à-dire incapables de conformer leur création à leur vision naturelle (les chevaux bleus de Franz Marc par exemple). Deux constructions idéologiques destinées à valider la supériorité d'un art sur un autre, à former un jugement de goût autoritaire et sans nuances, à réduire l'idée de beauté. Les conditions de visite de ces deux expositions y ont contribué.
Le pavillon d’art allemand bénéficiait d’une entrée majestueuse et d’un accrochage respectueux des conventions muséologiques en vigueur. Tandis que c'est une galerie construite au XVIIIe siècle et conçue à l’origine pour recevoir les collections princières de Bavière qui accueillait l’exposition d’art dégénéré (totalisant 600 œuvres saisies dans une quarantaine de musées). Dans cet espace composé de 9 salles en enfilade, la lumière perçait difficilement. Des panneaux en bois supportant l'accrochage obstruaient les fenêtres. Puis, les œuvres étaient suspendues sans respect chronologique, à touche-touche. Les cartels et texte de propagande écrits à même les murs de façon stylisée ou cursive (6). La circulation du public rendue incommode à cause de l'unique porte faisant office d'entrée et de sortie.
Montrées comme incompréhensibles, grossières, dénaturées, les peintures et sculptures d’avant-garde ne pouvaient manquer d’être dépréciées et jugées comme le fruit d’une modernité dangereuse par les spectateurs munichois. À ce compte, les laisser proliférer était l’assurance d’un environnement bientôt gâté par la laideur et la maladie. Alors que l’exposition de l’harmonie ou de la symétrie allemande héritées de l’antiquité gageaient d’une éducation meilleure. Ainsi la pensée nazie prenait forme dans l'esprit des visiteurs.
En quoi consistent les collections d’art national-socialiste et d’art dégénéré ? Pour la seconde, les contours de l’ensemble désigné semblent plutôt nets : cela va de Georg Grosz, Otto Dix, Walter Dexel, Kurt Schwitters, les constructivistes, les membres du Bauhaus aux artistes juifs hommes et femmes (le cas de Lotte Laserstein (1898-1993) est cité). Mais concernant les limites du premier corpus, le spectre couvert semble plus large : un intervenant de l'émission prend pour point de départ l’impressionnisme tardif pour arriver aux surréalistes. Le tout étant largement accompagné d'une peinture répondant à la classification des genres habituels : d'histoire, de genre, de nature morte, portraits. Les peintres cités sont ceux de l'école de Munich, Adolf Ziegler (1892-1959), le peintre préféré d’Hitler (qui prit part à l’organisation des deux expositions) (7), Wolfgang Willrich (1897-1948) Adolf Dressler (1833-1881), Karl von Piloty (1826-1886), Friedrich August von Kaulbach (1850-1920).
N.B. : Aussi appelée exposition de la honte ou musée des horreurs, les mises en scène destructurées de l’art réuni par les Allemands ont existé dans toute l’Allemagne bien avant l’exposition historique de Munich.
1/ Franz Marc,
Deux cerfs rouges, 1912
2/ Franz Marc,
Combat de formes (ou
formes combattantes), 1914
3/ Otto Freundlich,
Der neue Mensch, (
L'Homme nouveau), 1912
4/ Georg Grosz,
Allemagne, un conte d’hiver , 1917-1919
5/ Georg Grosz,
Siegfried Hitler, 1923
6/ Vue de l'exposition d'art dégénéré de Munich, 1937
7/ Adolf Ziegler,
Les quatre éléments, 1937