En d'autres temps et autre lieu, j'avais proposé ce début de roman, savoureux autant que rarissime :
<< Tom Mac Cormick jurait comme un irlandais. Il puait la marée et l’embrun. Sa crasse, cuite par le soleil de toutes les latitudes, lui avait revêtu le corps d’un nouvel épiderme insensible. Il roulait fortement d’une hanche sur l’autre : on aurait dit qu’il boitait des deux jambes.
C’était un garçon mal embouché et grossier à faire avorter une femme enceinte. Sa verte soixantaine lui permettait d’être insolent sans trop de dommage. Il était fort comme un gorille et son expérience de la bagarre lui avait permis bien souvent d’échapper à des corrections méritées. Il avait la manie de raconter des histoires et il exigeait, sous peine des pires représailles, qu’on l’écoutât. Ca vieux radoteur était d’une susceptibilité insupportable. Au moindre mot il se fâchait et sa colère avait une couleur de crime. Une colère terrible d’élément déchaîné : sa figure se ridait toute entière de l’une à l’autre oreille, et du sommet du crâne (qu’il avait chauve) à la pomme d’Adam : son visage se fermait soudain comme un poing. Il aurait tué pour un doute. Car Tom Mac Cormick était l’homme le plus sérieux du monde et il n’acceptait pas la plaisanterie.
Il est vrai que le vieux buvait comme un golfe. Son alcoolisme était méthodique : il s’enivrait six heures par jour, dormait pendant six heures, et pendant douze il était sobre, racontait des histoires, jurait, cassait des meubles et discourait sur tout avec une science dont je n’aurais jamais cru capable un homme aussi vulgaire.
Son ivresse était calme et taciturne. Il méditait en cuvant. Son amour immense et rudimentaire pour la mer asservissait inconsciemment sa rêverie à la monotonie des plaines liquides. Aussi son activité intellectuelle se réduisait-elle à coller sur un vieux cahier toutes les coupures de journaux qu’il avait pu trouver relatant un naufrage ou une tempête. Comme il savait à peine lire, il se fiait uniquement aux titres, et on trouvait dans son cahier les choses les plus imprévues : par exemple une affiche de la Anti-Saloon-Ligue qui commençait par ces mots en caractère gras : UNE TEMPETE DANS UN VERRE D’EAU >>
(Kala-Azar - Roger de Lafforest - Grasset 1931)
./...
<< Tom Mac Cormick jurait comme un irlandais. Il puait la marée et l’embrun. Sa crasse, cuite par le soleil de toutes les latitudes, lui avait revêtu le corps d’un nouvel épiderme insensible. Il roulait fortement d’une hanche sur l’autre : on aurait dit qu’il boitait des deux jambes.
C’était un garçon mal embouché et grossier à faire avorter une femme enceinte. Sa verte soixantaine lui permettait d’être insolent sans trop de dommage. Il était fort comme un gorille et son expérience de la bagarre lui avait permis bien souvent d’échapper à des corrections méritées. Il avait la manie de raconter des histoires et il exigeait, sous peine des pires représailles, qu’on l’écoutât. Ca vieux radoteur était d’une susceptibilité insupportable. Au moindre mot il se fâchait et sa colère avait une couleur de crime. Une colère terrible d’élément déchaîné : sa figure se ridait toute entière de l’une à l’autre oreille, et du sommet du crâne (qu’il avait chauve) à la pomme d’Adam : son visage se fermait soudain comme un poing. Il aurait tué pour un doute. Car Tom Mac Cormick était l’homme le plus sérieux du monde et il n’acceptait pas la plaisanterie.
Il est vrai que le vieux buvait comme un golfe. Son alcoolisme était méthodique : il s’enivrait six heures par jour, dormait pendant six heures, et pendant douze il était sobre, racontait des histoires, jurait, cassait des meubles et discourait sur tout avec une science dont je n’aurais jamais cru capable un homme aussi vulgaire.
Son ivresse était calme et taciturne. Il méditait en cuvant. Son amour immense et rudimentaire pour la mer asservissait inconsciemment sa rêverie à la monotonie des plaines liquides. Aussi son activité intellectuelle se réduisait-elle à coller sur un vieux cahier toutes les coupures de journaux qu’il avait pu trouver relatant un naufrage ou une tempête. Comme il savait à peine lire, il se fiait uniquement aux titres, et on trouvait dans son cahier les choses les plus imprévues : par exemple une affiche de la Anti-Saloon-Ligue qui commençait par ces mots en caractère gras : UNE TEMPETE DANS UN VERRE D’EAU >>
(Kala-Azar - Roger de Lafforest - Grasset 1931)
./...
Dernière édition par Nessie le Dim 30 Aoû 2009, 04:32, édité 1 fois