Alors quid de l'intervieweur Salvy ? Il faut y revenir :
- De 1975 à l'automne 87, Démarches était une interview de 20 minutes, dans un style très semblable à celui qui aujourd'hui caractérise Alain Veinstein : peu de questions, toujours courtes, à la fois très ouvertes et pourtant suffisamment suggestives, orientées. Le contraire de ce que nous fait Laure Adler avec ses questions fréquemment si mal dosées : interminables ou au contraire squelettiques, et donc terriblement fermées ou au contraire tellement imprécises qu'elles n'ouvrent sur rien. Les invités de Salvy étaient principalement des plasticiens, des écrivains et des poètes, mais aussi bien des personnalités des arts appliqués, de la photo, des arts décoratifs, du design. Ce sont des centaines de galeristes, de créateurs ou historiens, qui composent en plusieurs centaines d'entretiens un panorama de la création pendant 20 ans.
- De 1987 à 1996, l'émission changeait de titre et de forme. Photo-portrait, qui prenait la suite, dans la continuité et avec une durée un peu réduite, se voulait davantage une galerie de portraits comme l'indiquait le titre et aussi le sous-titre "La galerie des contemporains". Ouvert par un morceau de Laurie Anderson, ponctué de bruits de déclencheurs de Leica ou de Nikon, séparé en chapitres sobrement et finement intitulés "Profil" ou "Bonne résolution". Pendant ces 10 dernières années Photo-portrait poursuit le travail commencé en 75 : on y retrouve comme invités récurrents ceux qui ont fait l'ambiance des années 80. Pour qui l'ont oublié, aveuglés par le ramdam du début des années 80, la série rappelle opportunément que le mouvement de modernité était lancé nettement avant l'impulsion née de mai 81. L'impulsion était venue de l'effet-Beaubourg.
Et puis, aux premiers temps de ce double cycle, il y eut la parenthèse de "Personnes, personnages", insérée dans "La réalité, le mystère". Ce soir, nous aurons une miette prélevée dans ce coffre au trésor : l'interview de Jean-Jacques Schuhl, alors bien loin de son prix Goncourt. Nous étions ici tout juste un an avant les premiers numéros des Nuits magnétiques (pour mémoire : en janvier 1978 la série New York, Carnet de bal pour un âge d'or). Entre les 26 décembre 1976 et le 1er janvier 1977, dans la partie à lui dévolue du programme "Le mystère, la réalité", Gérard-Julien Salvy accueille pour des interviews dans un format inhabituel : Ben, Renaud Camus, André Courrèges, Jo El Kermarrec, Ghislain Mollet-Viéville, Denis Roche, Philippe Sollers, et le dernier jour Jean-Jacques Schuhl. La série "Personnes, personnages" fut donc une parenthèse dans cette carrière d'intervieweur qui, 20 ou 40 ans après, nous est porteuse d'une singulière nostalgie.
Que reste-t-il de ces 20 années d'interviews ? Eh bien... des centaines d'émissions, on l'a dit. Elles dorment aux archives ou sur des collections de cassettes qui, parfois, nous tombent littéralement du ciel là je n'invente rien et je peux vous dire que ça fait un choc. C'est lourd vous savez, des cartons de cassettes. Après la choc, la surprise : ces centaines d'émissions elles ont vieilli... comme du bon vin. A les écouter massivement, remonte alors ce qu'il y avait de meilleur dans les années 80 : la création. Elles mériteraient bien un programme spécial, à leur tour et en une nuit : 15, 20 numéros à la suite. Chose peu probable hélas ; tout au plus un numéro resurgit de temps à autres dans le programme de nuit. Ainsi ces derniers mois nous avions pu entendre en 2 épisodes Harry Matthews, et en 2 épisodes aussi Frédéric Mitterrand. Ainsi dimanche dernier à la demande de Philippe Sollers, Christine Goémé exhumait un "Démarches" avec Marcellin Pleynet. Je dis "un" parce que Pleynet était des invités récurrents, ceux qui sont passés une ou quelques dizaines de fois dans le studio, parmi lesquels Denis Roche, Franck Venaille, Jean Ristat, Renaud Camus, Valère Novarina, Patrick Mauriès, Bernard Delvaille et combien d'autres ?
L'ensemble conserve le parfum des années 80 : une profusion de créativité, un certain dandysme, une frivolité aussi dont l'intervieweur porte en partie la responsabilité. Il faudra penser à le remercier un jour pour cette vaste galerie, ce Gérard-Julien Salvy qui fut leur compagnon de route pendant ces années où la radio se libère. Années de création, qui ouvrent progressivement la voie au mouvement des radios libres. Oui, remercier Gérard-Julien Salvy, aussi pour son programme de l'hiver 1976, cousin dans l'esprit des Nuits magnétiques. De fait aujourd'hui aujourd'hui un des survivants de cette époque, pas seulement en chair et en os mais dans l'esprit et surtout sur nos ondes préférées, c'est Alain Veinstein. On peut lire dans "Radio Sauvage" tout ce que la radio d'Alain Veinstein et donc la nôtre doit à Yves Jaigu, et aussi dans quel esprit furent lancées les Nuits magnétiques.
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Dernière édition par Nessie le Ven 20 Fév 2015, 18:13, édité 3 fois