Forum des auditeurs passionnés et critiques de France Culture

Ces extraits d’un courrier d’Armand Robin, l’auditeur pouvait les entendre lors d’une précédente rediffusion de la série, lus par Marc-Hubert Floriot dans le chapeau de présentation de la 5ème émission. Vous ne les entendrez pas dans la nuit à venir car pour cette rediff les 5 émissions ont été regroupées en 2 livraisons, avec une autre présentation. C’est dommage. Quand on entend ça on n’a plus tellement envie de faire le malin. Le reste passerait pour anecdotique : 15 ans après avoir réussi à se trouver successivement sur la liste noire de la Gestapo et celle de l’épuration, Armand Robin quitte l’existence à l’infirmerie de la Préfecture de police en 1961. C’est le dernier acte. Comparées au parcours du personnage, les conditions de sa fin ont quelque chose d’anecdotique : une ultime provocation au commissariat du VIIe arrondissement qui le chope après son Nième coup de fil d’insulte, ou bien le ramasse dans une rue, dans un état lamentable. La rumeur jamais confirmée parle de mauvais traitements, on le dit tabassé, mais qui aurait tabassé cet homme en bout de course ? Ainsi ils auraient fini par l’avoir, mais ceux qui l’ont bien connu disent qu’il n’y avait même plus besoin de ça pour en venir à bout : en 1961 il est au bout du rouleau. Il s’éclipse, et que restera-t-il ? Des bulletins d’écoute radio qui plus de 60 ans après, sont devenus un mythe pour happy-fews ; des chroniques dans Combat, sur ce même sujet de la désinformation institutionnelle ; des traductions dans tous les sens, de poètes de partout et d’ailleurs ; des articles dispersés dont une part sera rééditée par Françoise Morvan chez Ubacs. En 1961 il y a une masse de papiers récupérés in extremis dans un appartement saccagé où Claude Roland-Manuel et Pierre Leyris ne parviennent pas à retrouver son écureuil apprivoisé (peut-être aussi imaginaire que les farfadets de Berbiguier ?) mais tout de même à la hâte et sans pouvoir trier ils remplissent quelques sacs de papiers dans le désordre que la police a bien voulu laisser derrière elle. Désordre qui n’aura peut-être fait que mettre au carré celui du propriétaire, maintenant absent de la scène ? Personne ne connait la réponse. Et puis c’est fini. Ou plutôt, quelque chose d’autre commence : un mythe peut-être. Au moins une légende, celle d’un esprit résolument indépendant. Aujourd’hui Armand Robin nous est plus utile que jamais.

Il était né Vincent Robin à Plouguernevel en 1926. Cet adepte du Wu-Wei qui aura passé sa vie à se dissoudre dans la langue, traduire de la poésie, rédiger des notes de lectures, écouter la désinformation en provenance des journaux radio de toute la planète, était un homme de radio à deux titres :
- pendant une quinzaine d’années il rédige seul, en travailleur indépendant, un bulletin d’écoute intitulé « La situation politique internationale d’après la radio en langue étrangères ». C’est une Lettre confidentielle qu’il vendait assez cher, dit Robert Prot, à des services ministériels ou diplomatiques, dont ceux du Vatican
- et pour le Club d’essai qu’on connait bien ici, Robin produit diverses émissions sur Ungaretti, Pasternak, Maïakovski, et nombreux poètes du monde entier.

C’était un polyglotte impressionnant. De langue natale bretonnante il apprend le français à l’école, et plus tard une cinquantaine d’autres langues dont 9 au moins à Langues-O où on le voit passer les 9 certificats dans la même année. Il fut anarchiste, parmi les premiers apostats de la révolution russe dès son voyage en URSS au début des années 30. Puis doublement privilégié car pourchassé d’abord par la Gestapo et ensuite ostracisé par l’épuration. Le voila placé sur liste noire, celle des "écrivains indésirables" ceci grâce aux bons soins de Louis Aragon, mais on a dit aussi que c’était à sa demande. Un emmerdeur, à n’en pas douter... Armand Robin sera un des premiers à étudier concrètement la désinformation, fournissant d’abord à Combat une série de chroniques pendant les années d’après-guerre. Au début des années 50, il investit toutes ses économies dans l’achat d’un poste ondes-courtes assez coûteux et épuise ses forces jusqu’en 1961 à produire ses bulletins d’écoute entre deux participations à la radio notamment au club d’essai. Cette année là il meurt à l’infirmerie spéciale du dépôt quelques jours après une ultime provocation téléphonique au commissaire « Monsieur il y a des métiers qu’on n’a pas le droit de faire ».

En cherchant un peu, on trouve (inventaire non exhaustif) :
- Le temps qu’il fait - chez L’imaginaire Gallimard (roman paysan):
- Ma vie sans moi - Poésies-Gallimard
- La Fausse Parole - initialement paru chez Minuit en 1953. Réédité par Le temps qu’il fait en 2002 avec une préface de Françoise Morvan + augmenté de quelques textes supplémentaires, les "outre-écoute" de 1955 et 1957. L’édition initiale livre en une série de chroniques et d’études choisies par l’auteur une théorie de la désinformation par les journaux parlés de la radio internationale en ondes courtes et en 41 langues parmi lesquelles l’hindi-ourdou, mais aussi le latin et l’espéranto.

Et puis des textes rassemblés, aux Editions Ubacs, maintenant disparues mais ça doit encore pouvoir se trouver dans le fonds des PUR (Presses universitaires de Rennes) :
- Expertise de la fausse parole (présentation de Dominique Raduffe). Initialement « Chronique des radio-étrangères ». Première tentative de Robin pour rassembler les textes parus dans Combat en 1947 et 1948. Donnera lieu ultérieurement à « La fausse parole ».
- Ecrits oubliés (2 Tomes. Présentation Françoise Morvan). Notes de lecture. Traductions de poésie du monde entier.

Cette destinée qui a fugitivement inspiré à Patrick Modiano un personnage dans « La petite Bijou », a donné lieu à une mini-mythologie pour happy-fews. Outre les livres ci-dessus, épuisés ou hors-circuit, en chinant modérément on pourra trouver le volume de chez Seghers-Poètes d’aujourd’hui (Armand Robin ou le don des langues, par Alain Bourdon) livre qui contient un certain nombre d’erreurs, parait-il, erreurs rectifiées par un excellent connaisseur : Jean Bescond, homme sympathique et qui répond aux mails, créateur d’un site très complet : http://armandrobin.org/
Jean Bescond signale un fonds Armand Robin déposé à la médiathèque de Carhaix : http://www.bibliocob.com/carhaix/mediatheque_carhaix.htm

Mon point de vue : privilégier la lecture de « Expertise de la fausse parole » (Ubacs). Ouvrage à ranger auprès de Korzybski, Bertrand Russell, Albert J (d’avant 1983), Bruno Lussato, Rémy de Gourmont (également chez Ubacs). Comme ces derniers il contribue à affuter notre discernement en ouvrant nos oreilles sur les manipulations sémantiques de qui feint de nous informer. C’est donc d’autant plus piquant de le voir réapparaitre dans le programme de nuit de cette radio qui pratique toute la journée ou presque l’intoxication idéologique à haute dose...

Diffusion des 4 & 5èmes épisodes de la série : cette nuit de 3h05 à 4h00.
Invités de ces deux dernières émissions : Alain Bourdon et Mireille Guillet