Comme annoncé ci-dessus, voici quelques lignes pour inciter à l’écoute de Witold Gombrowicz : une semaine après Raymond Abellio, les Nuits de France Culture nous offrent ici l’occasion d’entendre encore une parole rare. La voix de l’écrivain aura été plus rare que son oeuvre sur FC qui lui a largement ouvert son antenne, au moins dans le domaine des fictions et du feuilleton avec Cosmos, Ferdydurke, Transatlantique, et Les envoûtés. Il y a eu aussi 2 numéros de Une vie une oeuvre : le premier en novembre 1996 par Denise de Roux, et le second par Christine Lecerf à la rentrée 2007 juste au moment où l’émission avait été réduite de 88 à 58 minutes (un sale coup pour le documentaire sur France Culture). Mais en ce qui concerne le personnage lui-même, on l’aura très peu entendu. Ici, c’est un entretien recueilli en 1967 par Gilbert Maurice Duprez qui le présente en 1970 entrecoupé de lectures du Journal, de Cosmos, de Ferdydurke.
Gombrowicz "pouvait tout se permettre parce qu’il n’était rien", comme il le dit dans son journal, et dans ces mêmes termes ou quasi. L’homme aura vécu en solitaire et en marginal, presque toujours en exilé par la force des choses ce qui ne veut pas dire malgré lui, mais surtout exilé à tous points de vue : dans la discussion il se dit lui-même "exilé spirituel". On reconnait assez vite l’individualiste obstiné, pas vraiment remuant mais tout de même il y a de l’incontrôlable dans le bonhomme, qui a quelque chose d’un calme enfant terrible. Aux questions de Gilbert-Maurice Duprez, il répond comme il veut bien l’entendre et tant pis si l’auditeur lui aussi aura parfois quelque difficulté à bien l’entendre : par moments il vous faudra un peu tendre l’oreille pour saisir son propos. En tous cas, c’est fait tranquillement, sans agressivité et non plus sans cordialité pour autant. Il a beau se qualifier lui-même d’extrêmiste et même de violent, le ton reste neutre. Installé dans sa troisième patrie, il reste résolument d’ailleurs cet homme en qui Dominique de Roux voulait voir un Socrate du siècle. A plusieurs reprises on sent Duprez pris à rebours, pas vraiment désarçonné et toujours consentant car nous sommes dans les 60’s et non en 2011, donc l’interviewer est encore au service du sujet et de l’auditeur. 3 ans plus tard lors de la diffusion des entretiens, le producteur préfère intituler cette émission "Witold Gombrowicz par Witold Gombrowicz". Il s’agit finalement d’un autoportrait, même si au fil de la discussion il évoque Borges, Joyce, Thomas Mann, Butor.
Un autoportrait, ou une variation de plus sur son grand thème : qu’est-ce que grandir ? La question se pose à l’individu en développement et donc à l’homme qui devra tout à la fois se couper de sa jeunesse, la perdre, ne jamais oublier qu’il en reste marqué, incapable d’échapper à sa fascination. Mais il ne s’agit pas seulement d’âge : la question que nous pose Gombrowicz c’est : comment faire pour être soi-même, comment s’affranchir des influences, quelles qu’elles soient ? Or l’influence c’est aussi le moule social et l’époque. Cela il le dit lui-même, en ces termes ou presque. Sa philosophie est donc résolument a-culturaliste, ou plus exactement non-culturophile, chose que vous entendrez explicitement à la 30eme minute de l’entretien. On se dit alors qu’elle tombe à pic cette rediffusion, dans le débat pseudo-politique dont FC nous gave et où la chaîne n’a pas manqué de déposer sa grosse louche pendant toute la journée d’hier. Reste qu’on peut se demander si les programmeurs des Nuits sont de gros facétieux ou bien des idéologues cachés, ou après tout pas si cachés que ça pour qui connait leur programme habituel. Laissons-les tous se dépatouiller dans ce débat que toute la station s’emploie à rendre encore plus foireux, dans la tension entre deux forces de la doxa contemporaine telle que la sécrète l’intelligentsia : niaisement ethnophile et en même temps assoiffé d’universel tout aussi niaisement traduit en égalitarisme étroit. Laissons-les à leurs jeux et écoutons la pensée réfléchie de Gombrowicz, qui peut rester dans les mémoires plus et mieux que l’agitation un peu dérisoire dans le bouillon du programme de journée. Les programmeurs de FC, une fois de plus, montrent la supériorité du programme des nuits, chose qui sera encore plus évident dès 3h37 quand l’antenne sera rendue aux multidiffusions de la journée.
Reste à signaler que c’est une émission qui demande un effort d’attention : d’abord par le son qui est carrément faiblard par moments. Et puis par la diction imparfaite de l’homme âgé devenu francophone sur le tard, et qui oubliant qu’il s’exprime dans une langue d’adoption, parfois se met à marmonner. Malgré tout, ça vaut le coup de s’accrocher. Un conseil : cette émission n’est pas de celles qu’on écoute en vaquant à ses occupations. Il faut s’asseoir, si possible assez près de sa radio ou mieux : à portée de votre ordinateur. Ecoutez l’entretien ou plutôt une captation en mp3, après sa diffusion, avec un logiciel bien fait qui vous permet de revenir en arrière quand il le faut sur une phrase ou deux, comme vous l’auriez certainement fait au mauvais vieux temps maudits du magnétophone et des cassettes qui nous coûtaient les yeux de la tête et ne permettaient qu’une navigation au jugé (un peu comme le lecteur mal foutu qu’on trouve sur le site de France Culture).
Dernière édition par Nessie le Ven 01 Avr 2011, 16:38, édité 2 fois