Fidèle auditeur, je vois les effets à long terme de cet effet de cliquet qui petit à petit a transformé la station en une France Inter sans pub (j'aime France Inter, la question n'est pas là). Quand à la pub dont nous sommes encore pour l'heure épargnés, elle s'immisce de plus en plus sous la forme de partenariats, telle cette série sur Agatha Christie parrainée par les éditions du masque pour ne citer qu'un exemple parmi d'autres.
J'aime bien également Adéle Van Reeth dont j'écoute régulièrement "les nouveaux chemins" et je regrette d'avoir saisi l'occasion de sa nouvelle émission pour exprimer ma frustration et ma déception. Mais ce débat sur l'actualité pénitentiaire (dont j'ai décroché au bout de quelques minutes) m'a rappelé ce qu'étaient devenues toutes les bonnes émissions que j'aimais bien, comme l'Economie en question. Et c'est pénible.
Quel est donc le reproche que j'adresse à cette émission ? C'est qu'il s'agit d'un énième débat avec des invités professionnels qui ont un point de vue sur tout, qui ont un avis tranché, facilement identifiable, qui s'indignent de tout, qui jouent de l'émotionnel, qui veulent nous dire ce qu'il est bon de penser et qui surtout n'ont pas de point de vue original ou même qui leur soit propre, bref qui expriment la vulgate pré mâchée et pré digérée qu'on peut entendre ou lire un peu partout.
Or la spécificité de France Culture me semble-t-il c'est de discuter de questions ordinaires avec des intervenants qui ne le sont pas, soit parce qu'ils sont de vrais experts du domaine, soit parce qu'ils ont une personnalité ou un parcours atypique qui donne à leurs opinions ce petit décalage savoureux, enrichissant et qui fait réfléchir. L'autre particularité de France Culture c'est qu'on y privilégie la pensée à l'émotionnel, la réflexion au jugement, le raisonnement à l'indignation.
Je me souviens du temps pas si lointain où "l'économie en question" invitait des profs de facs, peu connus certes, mais qui possédaient une expertise et une compréhension profonde d'un sujet. C'était enrichissant parce qu'ils apportaient des connaissances et un point de vue qu'on n'entendait pas ailleurs. Ce qu'on nous servait ailleurs c'était ce jeu de rôle dans lequel chaque intervenant à une étiquette clairement identifiable, avec des opinions bien tranchées car les responsables de chaines pensent que les auditeurs ont besoin qu'on leur dise ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, ce qu'il faut penser, ce dont il faut s'indigner surtout, car cela semble le plus important.
C'est dans ce moule que s'est fondue la nouvelle version de "l'économie en questions" : chaque semaine on a droit à la même pièce de théâtre avec ses personnages aux idées bien nettes, facilement repérables : le contestataire d'attac, le penseur libéral, le colbertiste, etc. Et chacun de servir la version simplifiée des idées qu'il est censées défendre, en prenant bien soin de ne pas sortir de son rôle pour ne pas perturber l'auditeur qui a besoin de messages clairs. Adieu nuances, absences de jugement ou points de vue originaux. Vive les catéchismes, vive les idées simples mais fortes qui nous permettent de jouir de la délicieuse illusion de la certitude.
C'est également avec cette recette qu'a été conçue la nouvelle émission des "chemins du vendredi" en partenariat avec le Nouvel Observateur. On a eu le droit à des intervenant connus, aux idées bien arrêtées, capables de s'indigner sur les conséquences désastreuses de notre société libérale, ou l'inverse selon le camp politique. Résultat : des propos prédictibles, des oppositions artificielles, des postures, des jugements (contre ou pour la vilaine société libérale moderne). Mais surtout des propos que l'on entend ou lit partout ailleurs, notamment dans le Nouvel Observateur.
Le partenariat avec les périodiques est un des ingrédients du problème (pas le seul). Ces journaux orientent les débats, la manière de poser les questions, de traiter les sujets. On peut le constater de manière criante en écoutant l'émission Science Publique à l'époque de son partenariat avec Sciences et Vie.
Si vous pensez que le but de France Culture c'est d'adopter la ligne éditoriale du Nouvel Observateur, de Science et Vie et autres revues commerciales, je ne vois aucun intérêt à ce que le contribuable subventionne un projet aussi peu différentiateur.