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Les historiens et la politique    Page 1 sur 1

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Nessie 

Nessie

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Les historiens et la politique - Mar 21 Mai 2013, 12:03

Ayant lu dans un autre fil quelque chose qui m'a semblé bien étrange comme façon de voir : << [...] un historien n'a pas à faire la politique, ni même à préconiser une politique. S'il le fait, il sort de son rôle. >> (fil Maison d'études - Post n°58)

Je sors volontairement la phrase de son contexte. On pourra la remettre évidemment dedans, mais essayons alors que ça ne fasse pas de nouveau dégénérer la discussion. En tous cas, cette assertion me semble assez contestable, et même déjà invalidée par l'expérience. Alors j'ouvre ce fil pour en débattre.

Nessie 

Nessie

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Re: Les historiens et la politique - Mar 21 Mai 2013, 12:23

Je ne vois pas au nom de quelle règle morale ou scientifique les deux rôles seraient séparés, on plutôt je ne vois pas en quoi le cumul serait interdit. Ce qu'il faut me semble-t-il, c'est que les deux discours soient clairement séparés au moins dans le cas où il s'agit d'une polémique porteuse d'enjeux humains et sociaux, surtout lourds.

Mais de même que le sociologue qui indépendamment du résultat et même de l'orientation de sa recherche, reste un homme engagé dans la société de son temps, et à ce titre aussi un essayiste, l'historien du présent peut non seulement éclairer la polémique, mais encore il peut donner un avis

Et je peux en donner ici de nombreux exemples, tout proches de nous car ils sont fréquemment présents ou représentés sur l'antenne de France Culture :

- On peut commencer par Jean-Noël Jeanneney : n'est-il pas historien avant tout ? Certes il a aussi été ministre, et même haut fonctionnaire en dirigeant Radio-France. Mais c'est bien en historien qu'il produit Concordance des temps, où il ne se fait pas faute de distiller un message idéologique. Et même quand on ne prise guère ce message, je ne vois pas comment on pourrait le lui reprocher.

- Regardons Michel Foucault qui même s'il est plutôt philosophe et pas si précisément historien, le devient dans ses études sur la folie, et jouera un rôle important dans l'évolution de l'institution psychiatrique. Est-il sorti de son rôle ?

- Emmanuel Todd, Docteur en histoire de l'université de Cambridge, s'illustre dans la Démographie. Et sur la base de données de type démographiques, quand il analyse les chances de pérennité de l'URSS (La chute finale), quand il diagnostique des tendances totalitaires dans l'histoire du communisme en France (Le fou et le prolétaire), quand il étudie les valeurs fondamentales qui animent l'électorat (L'invention de la France, puis La nouvelle France), quand il étudie l'insertion des immigrés en France (Le destin des immigrés), quand il conteste le discours et même le savoir des économistes (L'illusion économique), ne fait-il pas oeuvre à la fois d'historien et d'essayiste ? En quoi sort-il de son rôle et d'ailleurs quel est ce rôle ? Depuis 10 ans il intervient non plus seulement comme expert, mais comme politologue engagé. Quel est son rôle et sort-il de ce rôle ?

- Et que dire de Marc Bloch qui écrit en 1940 'L'étrange défaite' ?

- Et que dire de Marc Ferro qui écrit des essais d'historiens sur les tabous de l'histoire, et sur la façon dont l'histoire est enseignée ? Est-ce qu'il n'a pas un poids politique ?

Et en fin de compte, quand Fernand Braudel propose un programme d'histoire avec sa Grammaire des civilisations, est-ce qu'il ne fait pas de la politique ? Quand il écrit L'identité de la France, est-ce qu'il ne fait pas de la politique ? Certes, le lien est moins direct que Foucault et les asiles, mais ce lien existe, me semble-t-il. D'ailleurs comment peut-on nier qu'il y ait un lien entre histoire et politique ?

Bref, je ne comprends pas bien en quoi la nécessaire séparation des rôles interdirait à un historien de donner un avis sur la ligne d'action à suivre. A ce titre on pourrait aussi refuser à un économiste le droit de donner son avis sur la société, et interdire par exemple à Sauvy d'écrire ses préconisations sur l'immigration.

Je ne comprends pas ce cloisonnement.



Dernière édition par Nessie le Mar 21 Mai 2013, 13:28, édité 1 fois

Nessie 

Nessie

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Les savants et la politique - Mar 21 Mai 2013, 12:40

Voici un autre exemple de cumul des rôles. Exemple parallèle, donc comparable avec ses différences et ses points en commun.

Andréï Sakharov, physicien soviétique et principal artisan de l'arme nucléaire de l'URSS, écrit en 1968 une sorte de manifeste politique, qui sera diffusé en langue anglaise puis traduit en français sous le titre "La liberté intellectuelle en URSS et la coexistence".

Ce texte est instructif, et sans qu'il soit vraiment à double-fond, vu le contexte historique il ne doit pas être pris totalement au premier degré. Il a été rédigé avec beaucoup de précautions (qui n'empêcheront pas Sakharov de se trouver quelques années plus tard assigné à résidence). Dans cet texte mi-pamphlet, mi-essai politique, Sakharov demande une dé-stalinisation complète de l'URSS, l'abolition de la censure, le respect de la Constitution (violée au quotidien par l'Etat). Mais ça n'est pas tout : il lance déjà l'alerte écologique (en 1968), il pose comme un grave problème la faim dans le monde. Dans la dernière partie du livre il propose les grandes lignes d'un programme de politique internationale, où notamment il appelle à un rapprochement synergétique entre ces deux sociétés industrielles -on dirait qu'il a lu Raymond Aron- que sont le monde communiste (une fois rendu à la démocratie) et le monde capitaliste (qu'il faut d'abord rendre à l'égalité). Rapprochement à fins de lutter contre la dégradation de l'environnement, et de s'allier pour résoudre le problème de la faim.

Bon je ne cite que ce livre parce que -coincidence- je viens de le lire. Mais enfin Sakharov est bien connu comme militant des droits de l'homme en URSS, prix Nobel de la Paix en 75, et auteur d'autres livres.

Alors qu'est-ce que je veux dire avec cet exemple : que le savant nucléaire est un intellectuel de son temps. En tant qu'intellectuel, il a un avis sur l'avenir politique de son pays, et pas sur n'importe quelles questions, mais les plus cruciales.
Et là ma question est la suivante : Sakharov-le-physicien, qui travaille directement pour l'armement de son pays, sort-il de son rôle en donnant son avis sur la politique ?
De là, à condition d'y ajouter une précaution, il me semble que le raisonnement en ce qui concerne l'historien : si les deux propos que sont la recherche et l'avis politique sont suffisamment séparés pour éviter les interférences du second sur la première, en quoi est-il cantonné à l'histoire, et indésirable pour donner un avis en politique ?

footsteps 

footsteps

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Re: Les historiens et la politique - Jeu 06 Juin 2013, 10:30

Songez-vous à l'histoire comparée?
Inévitable pour l'historien qui réfléchit sur le présent. Séparer me semble également "éthique", car le propos de l'historien s'arrête à aujourd'hui, n'exerçant son métier qu'à partir du temps passé. L'avis politique me semble hors du champ de son exercice professionnel, mais je suis d'accord avec vous ,il est important.
Il n'y a qu'à voir le tollé provoqué chez les historiens par la "maison de l'histoire de F rance"voulue par Sarkozy. Autrement dit une histoire "nationale" contrôlée par le politique...

Alain Machefert 


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Re: Les historiens et la politique - Sam 08 Juin 2013, 19:18

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Dernière édition par Alain Machefert le Mar 11 Juin 2013, 19:23, édité 2 fois

Philaunet En ligne

Philaunet
Admin

6
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Re: Les historiens et la politique - Sam 08 Juin 2013, 20:46

Nessie a écrit:Ayant lu dans un autre fil quelque chose qui m'a semblé bien étrange comme façon de voir : << [...] un historien n'a pas à faire la politique, ni même à préconiser une politique. S'il le fait, il sort de son rôle. >> (fil Maison d'études - Post n°58)

(...) cette assertion me semble assez contestable, et même déjà invalidée par l'expérience. Alors j'ouvre ce fil pour en débattre.
Et c'est bien.

L'assertion m'avait paru tout à fait recevable.

Tout récit historique est déterminé par la vision du monde et la sensibilité de celui qui le narre, ce n'est pas un scoop.

Certains historiens, au lieu de déposer leur idéologie avant d'écrire, interprètent consciemment les faits à travers leur prisme (la notion même de "fait historique" fait débat) .

D'autres ou les mêmes vont plus "loin" en utilisant leur notoriété pour accéder aux médias où ils donnent leur opinion sur des questions de société, feu Pierre Chaunu par exemple.

Les historiens n'ont pas "à faire de la politique". À première vue, l'assertion plaît, car elle cherche à établir une distinction entre science pure et idéologie. À la réflexion, on peut aussi se dire que l'historien qui sort du bois en soutenant telle position ou tel candidat (par exemple comme l'a fait Leroy-Ladurie) permet aux lecteurs des écrits scientifiques de tel ou tel d'avoir un regard plus averti sur ses travaux.

Faut-il alors, dans cette optique, demander à tous les historiens de s'exprimer à France Culture dans des émissions à connotation politique pour voir comment ils pensent et interprètent le monde ? (voir par exemple les entretiens d'Hélène Carrère d'Encausse dans À voix nue)

Le titre, maladroit à mon avis, de cette émission "L’archéologie contribue-t-elle à fonder nos mythes nationaux ?" me semble contenir une piste de réflexion sur science et interprétation des découvertes via une structure inconsciente de la pensée ou via une idéologie revendiquée (le nationalisme par exemple, je pense à l'utilisation de la figure d'Arminius en Allemagne).

http://www.franceculture.fr/emission-le-salon-noir-l%E2%80%99archeologie-contribue-t-elle-a-fonder-nos-mythes-nationaux-2013-06-05



Nessie 

Nessie

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Re: Les historiens et la politique - Mar 11 Juin 2013, 14:01

footsteps a écrit:Songez-vous à l'histoire comparée?
Inévitable pour l'historien qui réfléchit sur le présent. Séparer me semble également "éthique", car le propos de l'historien s'arrête à aujourd'hui, n'exerçant son métier qu'à partir du temps passé. L'avis politique me semble hors du champ de son exercice professionnel, mais je suis d'accord avec vous ,il est important.
Il n'y a qu'à voir le tollé provoqué chez les historiens par la "maison de l'histoire de F rance"voulue par Sarkozy. Autrement dit une histoire "nationale" contrôlée par le politique...

Séparer n'est pas seulement éthique. C'est un impératif méthodologique.

Mais séparer ne veut pas dire se couper le bras gauche parce que le bras droit est réservé aux tâches nobles. L'erreur serait d'interdire à un intellectuel de tenir les deux rôles. Tant que ses deux propos sont clairement disjoints dans leur développement, je ne vois pas où est le problème. Ensuite, que tous deux paraissent ou non dans la même livre, sous la même couverture ? Eh bien à partir du moment où ils sont clairement identifiés, là encore je ne vois pas le problème.

Quant à la question de l'Histoire nationale contrôlée par le politique, il me semble qu'il y a là une grande hypocrisie : qui donc fait les choix de programme scolaire, et qui donc nomme les responsables du contenu des manuels, sinon le ministre ? Et qui donc reprochera à Braudel d'avoir écrit "Grammaire des civilisations", qui était initialement un projet de manuel pour la classe de terminale ?

Par ailleurs, l'intelligentsia a réussi à empoisonner de morale rétrospective (parfaitement contradictoire avec le précepte de séparation) l'image du passé national, ce qui est en soi une absurdité. Et si je comprends bien, il faudrait que des historiens se taisent au nom du même principe. Ca me semble un peu fort de café ...

Nessie 

Nessie

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Re: Les historiens et la politique - Mar 11 Juin 2013, 14:23

dans le message qui a subi un malencontreux coup sur la tête, alain machefert a écrit: [...] Vous comprendrez alors ma méfiance envers les politiques voulant s'insérer dans le domaine de l'Histoire.
[...]

Il me semble qu'il y a là une bonne raison de donner davantage de voix à l'historien. Encore faut-il qu'il soit titulaire des sacrements qui le légitiment. L'agrégé est-il un expert ? Et donc Max Gallo est-il historien ?

Figurez-vous que dans certaines disciplines, l'agrégé est considéré comme un petit bonhomme intellectuel à côté du doctorant. L'agrégé a la tête bien farcie mais il n'est pas un producteur de savoir, ce qui n'a d'ailleurs rien d'insultant ni de contradictoire avec sa fonction qui est d'enseigner. Rien ne lui interdit d'ailleurs de faire autre chose. Mais je me souviens d'un non-sociologue car seulement agrégé de sciences sociales, qui avait été imposé par le ministère comme titulaire d'une chaire que je ne nommerais pas. Les profs se lamentaient car ils avaient un autre poulain, qui avait tenu la chaire par intérim pendant un an, et qui était un vrai chercheur. Un jour, l'un d'entre eux me dit : "le problème c'est que nous allons avoir comme patron un homme qui n'est pas sociologue". Oui, il n'était qu'agrégé. Je m'en tiens là pour cette anecdote, et ça suffira donc pour Max Gallo..

Ici le problème n'est pas celui des politiques s'insérant dans la vision de l'Histoire, mais des historiens s'insérant en politique, ce qu'on dit être à éviter. Pourtant il me semble que Schlomo Sand (et je ne le prends ici que comme exemple, par pitié ne relançons pas la pénible polémique du fil d'origine) a lui-même une image de l'avenir de son pays, dont il dénonce à grande voix le passé. Si l'intellectuel ayant construit un savoir et de là une thèse personnelle sur la réalité de son pays, si celui-là dis-je, doit se taire sur l'avenir souhaité pour ce même pays, cela au nom de la séparation des rôles, alors vraiment on marche sur la tête.

C'est un peu le même genre de point de vue (inventé je suppose) de ce critique qui aurait écrit 'je préfère ne pas aller voir le spectacle sur lequel j'écris ma critique, afin de ne pas être influencé'.

Non, le seul vrai problème qui se pose n'est pas celui de l'incompatibilité ou même de la séparation des rôles, mais celui de l'honnêteté intellectuelle de l'homme qui prend la parole. Nous avons en France une sociologie dévoyée par l'usage militant qui en est fait, et tout le monde semble trouver cela très bien. Pas moi. Mais je ne demande pas aux sociologues de la fermer : je voudrais qu'ils fassent des préconisations honnêtes, en répondant honnêtement aux questions qui leur sont posées sous la forme "Où en sommes-nous - Que pouvons nous (essayer de) faire ?". Encore faut-il que la question soit posée de manière à ce qu'on puisse y répondre, et c'est déjà tout un travail.



Dernière édition par Nessie le Mar 11 Juin 2013, 19:40, édité 1 fois

Alain Machefert 


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Re: Les historiens et la politique - Mar 11 Juin 2013, 19:23

Nessie a écrit

ïe aïe, encore une manipe erronée de ma part .

Toutes mes excuses Alain, ce post a disparu par suite d'une erreur de manipulation. Une fois l'erreur commise il reste cet espace massacré où je m'empresse de déposer mes souvenirs de votre post, lu il y a une demi-heure avant l'erreur de manipulation.
Nessie

Je n'y crois pas. C'est de la censure ou je ne m'y connais pas !
Eh, eh. On peut plaisanter, non?
En fait, ceci est une bonne opportunité pour remercier l'ensemble des modérateurs de ce forum. Malgré les différents qui nous divisent parfois, je pense que nous partageons, avec nos styles et nos tempéraments propres bien sur, une certaine idée de France Culture.
Donc, ne vous inquietez pas trop pour ces erreurs de manip. Mettre à notre disposition un Forum indépendent sur FC est vraiment trés apprécié.

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Re: Les historiens et la politique -

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