Eh bien ils se sont encore surpassés samedi dernier avec un numéro dont le thème était "Magie et technologie". Passons sur l'emploi d'emblée fautif du mot 'technologie', puisque cet emploi est passé dans l'usage. Mais de magie, on se demande si l'invité a jamais lu fut-ce une définition : la magie c'est quand la raison n'est plus aux commandes, dit-il. Pas mal, il fallait le faire. Se laisser aller au hasard, aux passions, aux plaisirs de l'illusion, seraient de la conduite magique. Ah bon. Et le pire c'est que c'est exactement le genre d'exemples qu'il donne, tous bien choisis dans la vie ordinaire de l'internaute. Céder ou se plaire à musarder dans les recoins de l'irrationnel, par exemple les émotions, le jeu, le plus banal hédonisme (et notamment les usages des ordis à domicile jouent furieusement avec l'hédonisme), alors tout cela serait 'magie' ? Quel délire.
A peine finie cette première volée de sornettes, voila qu'arrive l'inévitable 'rituel', mot qui envahit les émissions de FC quand les ignorants veulent bavasser un moment sur leurs habitudes ou de celles des autres, mais oh surtout sans employer le mot 'habitude'. On ne sait pas pourquoi, peut-être que ce mot-là il pue de la gueule tandis que 'rituel' ça fait chic ? Certainement que ça fait chic, et encore plus pour qui en ignore le sens. Alors allons-y pour le 'rituel', dont l'emploi dévoyé est de toutes façons endémique sur France Culture, comme 'emblématique' et 'iconoclaste'. En passant, voila une petite dérive lexicale tout à fait irrationnelle, est-elle 'magique' ?
Et pendant les conneries, les conneries continuent. Nous voila maintenant dans "2001 Odyssée de l'espace", film dont nous apprenons que le fameux monolithe au milieu, c'est un totem. Ah un totem vraiment ? Un monolithe dont on ne sait pas s'il est réel et extra-terrestre ou imaginaire et symbolique (pour l'artiste qui produit son film). Et puis, un totem chez des pré-hominiens qui n'ont ni langage articulé, ni fonction symbolique, de mieux en mieux. Et au fait, que reste-t-il du totémisme en ethnologie ? Peu importe : pour le type qui parle au micro du Xav'e, un totem c'est un truc vertical planté au milieu des sauvages et "voila". On arrive à la 10e minute d'émission et la barque des sottises commence à être bien lourdement chargée.
Autre preuve de magie : derrière l'ordinateur, à force de se laisser guider puis perdre, emmener on ne sait où, nous serions finalement 'possédés', bigre ! Un marxiste évolué et modernophobe, du type Noudelmann-de-Francfort, nous aurait jugés 'aliénés', et bast ! Cela dit, l'aliénation c'est bien un recul de la raison donc (cf supra) c'est de la magie.
Bon résumons : magie, animisme, rituel, totem, possession, c'est que ça commence à faire beaucoup. Il est temps de se demander qui est le gugusse qui parle. Il n'y aura pas de surprise : Vincenzo Susca est un tenant de la Sociologie de l'imaginaire, et dans un des fiefs de la discipline, en plus : l'Université Paul Valéry (pitié pour lui !) à Montpellier. Autant dire un délirant.
Il faut ajouter comme amuse-gueule les intermèdes des deux clowneries radiophoniques de l'émission : la chronique du hanneton et la lecture de la semaine. La première se saisit du mystère "Bildelberg" (sic - ça commence bien !) sur un fond de musique qui évoque furieusement les petites bandes complotistes de YouTube. Le second résume laborieusement un nième article pris dans la presse étrangère et dont il ne maîtrise pas les références ni le lexique. Brisons là.
Si je me fends d'un Nième post à l'encontre de Place de la toile, c'est pas vraiment pour le plaisir d'éreinter, surtout que c'est plutôt l'invité qui régale. Non, c'est bien plus pour attirer l'attention sur une branche de la sociologie qu'il est bien difficile de prendre au sérieux : la Sociologie de l'imaginaire. Branche, ou subdivision, ou sous-genre pourrait-on dire, tant on voit à chaque phrase ou presque que ça tient plutôt de l'acrobatie intellectuelle et littéraire ; et tout à fait en phase avec le tic verbal de Laure Adler ou de Marie Richeux ('par rapport à votre imaginaire'), cela dit on notera qu'en tant que catégorie de l'esprit, l'imaginaire est à la mode jusque chez Veinstein ou Fellous. Hélas on n'en trouve jamais ni définition ni le moindre exposé strict, c'est d'ailleurs voulu, et en imitation de la Sociologie des représentations, qui a eu bien du mal à surmonter ce handicap de naissance qui, en la privant de définition, l'a longtemps privée de rigueur. Pour ce qui est de l' imaginaire , on ne sait jamais bien s'il s'agit d'images ou d'imagination, ou des deux, ou de l'une exclusivement mais seulement les jours impairs. J'ai l'air de rigoler comme ça mais je caricature à peine. Le genre souffre d'un verbalisme délirant, qu'on dirait calqué sur les abstractions philosophiques dont se gobergent certains invités d'Adèle van Reeth. Les références empiriques sont vagues, toujours interprétées. En cas de tentative de dialogue, le moindre souhait de méthode ou de réalisme empirique est renvoyée avec un sourire supérieur dans la case 'vous êtes dépassé mon vieux'. Il faut dire qu'il y a quelque chose d'artistique -au sens de l'art contemporain- dans cette façon d'user du langage et des cadres de la science sociale, un peu comme dans les divagations des philosophes préférés de Philippe Petit, entendez la psychanalyse ou la French Theory, ou encore les délires de Bruno Latour (mais si vous savez bien, Bruno Latour, l'homme qui croit que l'informatique est 'digitale' parce qu'on se sert d'un clavier avec les doigts - je n'invente rien cette bourde a été proférée un jour chez Philippe Petit).
Cela dit, cet état de fait est assez dommageable, car reliée à l'histoire des mentalités ou à une sociologie des représentations suffisamment bien cadrée, la socio de l'imaginaire avait de l'avenir, et du champ. On peut s'en rendre compte en lisant certaines des bonnes pages d'Edgar Morin, ou encore le sévère recadrage envoyé par Le Goff à l'ensemble, qui laisse imaginer ce qu'aurait été le genre s'il avait été investi par des scientifiques.
A part ça le thème de l'émission n'était pas si mal choisi. Avec un autre invité ou bien dans "La suite dans les idées", l'auditeur était condamné à voir passer pour la Nième fois le Tramway de Max Weber avec le désenchantement du monde dans le rôle du passager. Ici on a droit à un bout de théorie intéressante : un résidu de pensée animiste, un vitalisme vaguement inconscient attribué aux objets et encore mieux : aux machines. On frôle la problématique de l'ours en peluche chez Konrad Lorenz. Et on a envie d'envoyer un paquet de sucettes au caramel à Xavier pour lui donner envie d'abandonner le micro.