Et maintenant que faire ?
Pour le moment, j'en ai fini sur Marcel Hanoun. Je n'ai pas d'autre événement en calendrier. Je ne suis pas certain d'avoir encore assez de foi pour seulement entamer l'analyse de l'oeuvre. Mais ce que je sais, c'est qu'il y a là un monde esthétique ignoré de ceux qui devraient le connaitre, et qui ne peuvent qu'y trouver un enrichissement. Dans ce qui suit, j'élargirai donc le propos : je ne parle plus tant du cinéaste Hanoun, que du cinéma indépendant, en général.
D'ailleurs je ne crois pas avoir écrit cette série de posts pour inciter quiconque à se déplacer à la cinémathèque en cette fin du mois de mai 2010. Je n’ai pas non plus tenté de livrer une analyse filmique dont je suis bien incapable, et pas non plus de me faire le mémorialiste en blog d’une aventure artistique que j’aurai enfin rencontrée après 35 ans de rendez-vous manqués. J’ai seulement voulu indiquer l’existence d’un art méconnu, mais qui nous concerne ici en ce qu’il ressemble comme un frère à la radio que nous défendons. J’ai dit plus haut et sans vouloir dénigrer quiconque, que les premiers Godard sont plus proches de John Ford que de Hanoun. Eh bien le cinéma indépendant, comme celui de Marcel Hanoun, est des plus éloignés du cinéma commercial ainsi que de la télé, en même temps qu’il est très proche de cette radio créative que savait nous offrir France Culture pendant des années de Nuits Magnétiques et de Surpris par la nuit : qu’on en juge par exemple, avec les récentes rediff de nuit de certains numéros de ces deux séries. Pour la première : « La beauté en mouvement » de Goran Tocilovac ; et le diptyque du « Voyage irrationnel à Naples » par Emmelene Landon pour la seconde. Le même Surpris par la nuit qui nous avait proposé le 7 février 2003 un « Découvrons le cinéma de Marcel Hanoun », produit par Frédéric Acquaviva. On en dira de même de l’ACR y compris dans sa période actuelle, à condition encore qu’il ne s’égare pas trop dans les mêmes rigoles que la caricature du cinexpé, avec bruits de casseroles et narcissime exacerbé. Enfin on peut rappeler qu’India Song a d’abord été une oeuvre pour la radio, et que la bande-son d’ « Un homme qui dort » a été diffusée par l’ACR.
Pour le reste, il y aura encore bien des choses à dire sur le cinéma indépendant, d'abord sur les oeuvres et les cinéastes dont pour le moment on n'a encore lâché aucun nom ; mais aussi sur le modèle économique/culturel qui ne demande plus qu'à vivre. Ce que je crois, c’est qu’une pente naturelle mène du cinéma commercial au cinéma indépendant, et que cette pente on ne la suit pas simplement en changeant de réseau et de salles : ce chemin là je l’ai fait il y a 30 ans, et je n’y ai jamais été vraiment pris dans une foule, car c'était un chemin direct et aride. Mais on peut suivre un autre chemin, plus long mais peut-être plus agréable et plus sûr. Il suffirait de se laisser glisser sur une pente courbe : passer du ciné à la télé d'abord par paresse ; ensuite passer de la télé à la radio et cette fois par lassitude ou effarement ; et une fois réfugié à la radio si c’est le meilleur France Culture créatif, alors rien n’est plus naturel que d’écouter du vagabondage poétique, à la fois original, inspiré, et rien moins que classique dans sa forme : les Nuits magnétiques et Surpris par la nuit sont de cette eau. De là, le dernier pas est celui qui ramène au cinéma, cette fois un cinéma indépendant, non narratif, le cinéma personnel. Celui de Hanoun en est un exemple ; il n'est pas le seul. Cette étape là n’est pas encore si fréquemment parcourue, peut-être parce que son chemin n'est pas indiqué, et les films eux-même pas assez visibles, je veux dire en tant qu’objets disponibles. Mais depuis peu les choses ont changé, maintenant que le numérique apporte les maillons manquants : ceux de la distribution individuelle et de la diffusion domestique. Il y a 20 ans, on accédait aux indépendants par une notice bien planquée dans un coin de page de Cinématographe, avec une photo floue au sujet non identifiable. Bref, un mélange de jeu de piste et de repoussoir. A présent, le monde numérique en ligne permet d'abord l'information, ensuite facilite l'accès, dans des conditions que le ciné indépendant n'avait jamais eues. Du coup, pour ce cinéma qui fut longtemps maudit et dont seules quelques exceptions ont transpiré vers le cinéma officiel, la diffusion est maintenant à portée de click. Si la demande existe au moins à l'état potentiel, elle n’attend que de se développer sous l'effet d'une offre qui n'a même pas besoin d'être intrusive : extraits sur YouTube, réseaux sociaux d’artistes & blogs d’amateurs, sites personnels de cinéastes comme celui de Marcel Hanoun, et puis les webcinéthèques spécialisées comme
Ubuweb, enfin les sites commerciaux comme
Chalets films, rendent aujourd’hui le cinéma indépendant plus proche de son public qu'il ne l'a jamais été. Voila donc la nouvelle sauce, et bien malin celui qui pourrait affirmer avec certitude si elle prendra ou non. Il faut prévoir une offre déséquilibrée, peut-être par la pléthore et par l'abus d'hermétisme fumeux puisque là sont les deux plaies du cinéma personnel. Mais on peut espérer aussi une régulation par la qualité, parce qu'il s'agirait de toucher un public actif et relativement éclairé. Au moins, à mon sens, les conditions du démarrage sont réunies, et depuis peu. Avec encore quelques progrès du côté de la réalisation finale de l’image à domicile, je pense que cette diffusion peut croître au point de devenir une consommation courante pour un public exigeant, et je crois aussi que ça peut se faire en quelques années, seulement. A condition que le foot et le bruit des apéros géants ne masquent pas la création des indépendants, et que l’abrutissement télévisuel ne tue pas les appétits et les désirs. Alors justement avec un peu d’optimisme, on peut se demander si cet abrutissement télévisuel, en tant que repoussoir, ne serait pas le meilleur allié de la radio créative et du cinéma indépendant.