Le mercredi 16 septembre 2009, la Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée Nationale a entendu Jean-Luc Hees (PDG de Radio France) sur l’exécution du contrat d’objectifs et de moyens de Radio France pour 2006-2009 (remercions pour une fois le célèbre "fada de la timone", qui en a fourni le lien sur le blog de Jean Lebrun).
Avant de copier ici l'intégralité de l'audition (un peu longue à citer in extenso), quelques questions préalables :
Avant de copier ici l'intégralité de l'audition (un peu longue à citer in extenso), quelques questions préalables :
- Dans quelle mesure J.-L. Hees vous semble-t-il sincère en s'y posant en défenseur du statu quo concertant la publicité ?
- Idem au sujet de la défense de la culture face à un auditoire qui semble parfois un peu incrédule ?
- Pensez-vous que sa seule ambition pour France Culture soit une meilleure lisibilité de sa grille ?
- La dernière question qui lui est posée ne vous occasionne-t-elle pas quelques frissons dorsaux ?
Le rapporteur de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire a écrit:
Mme la présidente Michèle Tabarot. Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin devant nos commissions des affaires culturelles et des finances, en application de l'article 53 de la loi relative à la liberté de communication, qui prévoit que sera présenté chaque année un rapport sur l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens de Radio France, M. Jean-Luc Hees, président de cette société depuis le 12 mai dernier. Il va donc nous rendre compte d'un exercice qui n'a pas été exécuté sous sa responsabilité.
Je ne doute pas que cet échange sera néanmoins très intéressant, en particulier parce qu'il vous permettra, monsieur le président, de tracer les perspectives de votre action.
M. le président Didier Migaud. Je suis également heureux d'accueillir Jean-Luc Hees, pour un exercice nouveau pour lui mais dont nous commençons à avoir une certaine habitude puisque c'est la loi de septembre 1986 qui a institué les contrats d'objectifs et de moyens (COM). Il s'agit d'un outil de pilotage puissant et flexible grâce auquel l'État peut fixer à chaque opérateur des objectifs adaptés et différenciés en termes de création, de programmation, de diversité culturelle, mais aussi d'efficience et de productivité. En contrepartie, l'État s'engage, pour une période de quatre à cinq ans, à assurer aux opérateurs concernés un montant de ressources publiques leur permettant d’atteindre ces objectifs. Cet engagement est indispensable pour des opérateurs comme Radio France, qui ont besoin d'une certaine visibilité budgétaire dans un contexte concurrentiel mouvant.
Dans ce premier contrat d'objectifs et de moyens couvrant la période 2006-2009, un certain nombre de principes avait été défini entre l'État et Radio France, en vue notamment du renforcement de la valeur ajoutée du service public, de l'adaptation du groupe aux évolutions technologiques, de la réhabilitation de la maison de Radio France – nous mesurons les progrès des travaux chaque fois que nous nous rendons sur place –, de l'adaptation de la gestion et de la modernisation de la politique sociale et salariale. Nous souhaitons donc que vous nous décriviez ce qui s'est passé et que vous nous disiez, à partir de là, comment vous voyez l'avenir.
M. Jean-Luc Hees, président-directeur général de Radio France. Je suis heureux d'intervenir ce matin devant vous à l'occasion d'un exercice qui me paraît d'autant plus utile que je suis persuadé que Radio France doit être en contact permanent avec la représentation parlementaire.
Il s'agit aujourd'hui de vous rendre compte de l'exécution du contrat d'objectifs et de moyens de Radio France, que je n'ai ni initié ni mis en œuvre puisque j'exerce la présidence depuis le 12 mai dernier.
Je répète toutefois que j'ai trouvé une maison en ordre et bien gérée, ce qui me permet d'assurer pleinement la succession de mon prédécesseur.
Je souhaite tout d'abord vous informer des grandes lignes qui ont conduit l'action que nous menons depuis quatre mois à Radio France : il nous a fallu assurer la continuité des antennes et veiller à leur contenu, conforter les équipes, faire comprendre que la transition en matière de programmes et de contenu devait se faire de la façon la plus souple possible.
Je connaissais cette maison depuis longtemps et j'y connais beaucoup de gens, ce qui m'a amené à rencontrer de très nombreux membres du personnel dans la perspective d'un chantier stratégique capital : la renégociation du contrat social qui lie les personnels de l'entreprise.
Cette dernière a beaucoup changé ces cinq dernières années et cette mutation très importante, liée aux évolutions technologiques et sociétales, va se poursuivre, ce qui donne une importance encore plus grande à la stratégie qui sera conduite à l'occasion du prochain contrat d'objectifs et de moyens, lequel portera sur les cinq prochaines années, donc sur l'intégralité de mon mandat. Nous sommes à un carrefour essentiel pour le destin de l'entreprise et ce contrat devrait être soumis à l'État et à la représentation nationale au cours du premier trimestre de 2010.
Dans un contexte difficile pour l'industrie des médias, le service public de la radio se sent privilégié car, grâce à votre vigilance et à votre bienveillance, notre actionnaire nous fait confiance. Cette relation est essentielle pour tous les chantiers que nous devons mener : amélioration de l'offre de programmes, révolution numérique, réhabilitation de notre maison, redéfinition de la convention collective.
Avant même mon arrivée, j'ai affiché comme priorités la programmation et les antennes, mais aussi une gestion rigoureuse de nos ressources. Ces dernières sont acquises pour l'exercice 2009 et notre actionnaire accompagne favorablement notre démarche pour 2010. Nous subissons comme les autres les difficultés du marché publicitaire : même si cette activité ne représente que 8 % de notre budget, le climat économique est une source de préoccupation. Depuis mon arrivée, les échanges avec l'actionnaire ont été intenses et fructueux et je crois que nous avons fait comprendre la réalité de nos besoins et l'absolue nécessité de financer le développement de Radio France. Nous sommes conscients que la progression de nos ressources est une chance et je prends l'engagement solennel que chaque euro d'argent public sera dépensé à bon escient et qu'aucun projet ne sera engagé s'il n'est pas financé.
Nos projets concernent les antennes, les formations musicales, le multimédia, la radio numérique terrestre, la réhabilitation de la Maison de la Radio, sans compter le gros dossier du nouveau contrat social.
S'agissant de la réhabilitation de la Maison de la Radio, j'adhère sans réserve au projet et au montage financier qui ont été formidablement conduits par des gens compétents. Les travaux sont entrés dans une nouvelle phase le 8 juin dernier. Ils se poursuivent comme prévu, dans la rigueur financière. C'est un chantier considérable qui durera 80 mois, au prix d'une certaine gêne pour nos activités, mais les nuisances sont remarquablement maîtrisées par des professionnels compétents.
Radio France étant imprégnée de la culture du numérique et du multimédia, j'ai senti en la matière certaines impatiences et frustrations. Convaincu que la technologie n'est pas une religion et qu’elle doit être au service de nos activités de service public, j'ai souhaité que soit adoptée une stratégie claire et lisible pour tous. Les choses avancent à un bon rythme : grâce au lancement, cet été, des applications téléchargeables sur les téléphones mobiles et les ordinateurs, on peut maintenant écouter toutes les radios du groupe partout et à tout moment. Je suis persuadé que la mutation doit entraîner toute l'entreprise. Un travail important est actuellement effectué en vue de la rénovation des sites, notamment de France Culture et de France Inter. Il faut entrer dans le numérique en résonance avec nos antennes, en prenant en compte les perspectives prometteuses de la radio numérique terrestre et les opportunités du Web. Nous sommes donc arrivés à un moment décisif pour Radio France et nous ne serons pas timides en la matière.
Nos antennes se portent bien, mais on peut toujours faire plus et mieux. Je veux enfin rappeler que nous avons l'immense privilège d'avoir dans nos murs quatre formations musicales prestigieuses. J'ai engagé une réforme de la direction de la musique parce que je souhaite mieux exposer ces formations, en particulier sur nos antennes.
Mme la présidente Michèle Tabarot. Avant de donner la parole à nos rapporteurs – Christian Kert pour la Commission des affaires culturelles et Patrice Martin-Lalande pour la Commission des finances –, je souhaite savoir si le délai des travaux de réhabilitation prévus jusqu'en 2016 et le budget de 470 millions d'euros seront respectés.
Par ailleurs, j'ai bien entendu ce que vous nous avez dit à propos du numérique, mais on sait que vous êtes confrontés à un certain vieillissement de vos auditeurs. Comment envisagez-vous de toucher un public plus jeune ?
M. le président Didier Migaud. Le prix des travaux a déjà évolué par rapport à l’estimation du COM et j'aimerais moi aussi que vous nous rassuriez quant à la stabilité du montant que vous avez évoqué.
M. Jean-Luc Hees. Je puis vous rassurer comme je l'ai moi-même été depuis mon arrivée. Je salue d'ailleurs la qualité de l'équipe qui est en charge de ces travaux, en particulier du directeur financier de Radio France, Fabrice Lacroix.
Je rappelle qu'il s'agissait avant tout de sécuriser le bâtiment de Radio France, dont la préfecture de police avait pointé le danger qu'il représentait pour les personnels. Il est rapidement apparu que reconstruire Radio France ailleurs n'était pas une bonne idée car, outre le traumatisme affectif, il aurait de toute façon fallu réhabiliter l'immeuble pour le vendre.
Le chantier qu'il a donc été décidé d'ouvrir est considérable puisqu'il porte sur 104 000 mètres carrés. Il vise également à valoriser un patrimoine architectural puisque ce bâtiment est un symbole de Paris et de notre activité.
En outre, parce que les activités de Radio France changent dans un monde qui change, il fallait moderniser non seulement le fonctionnement, mais aussi les circulations dans une maison qui accueille du public. De ce point de vue, je me réjouis que nous disposions demain d'un auditorium de classe internationale.
Répondant à de hautes ambitions, la rénovation s'inscrit également dans une démarche de haute qualité environnementale et elle permettra de réaliser des économies de fonctionnement.
Le montant des travaux est de 240 millions d'euros en valeur juin 2008, comprenant les travaux de réhabilitation à hauteur de 183 millions d'euros, ainsi que 26 millions pour le parking et 30,6 millions pour l'auditorium.
Le budget d'investissement de la réhabilitation atteint 328,2 millions d'euros si l'on y intègre également les sommes suivantes : 3 millions pour les forages de géothermie, 3 millions pour les travaux préparatoires au début de chaque phase, 30,4 millions pour la maîtrise d'œuvre, 13,4 millions pour les assistants à maître d'ouvrage, 19,7 millions pour les aléas, soit 8 % du montant des travaux, ce qui semble raisonnable au vu de l'ampleur du chantier, 2,9 millions de taxes et 2,3 millions d'équipements techniques. Deux éléments de surcoûts sont par ailleurs intervenus : 5,6 millions pour intégrer l'orgue dans l'auditorium et 7,9 millions pour des travaux complémentaires de désamiantage.
Ce budget est calculé avec une hypothèse d'inflation de 2,5 % par an, mais ce taux sera probablement inférieur.
Le budget de fonctionnement est évalué à 115 millions d'euros, soit 22 millions de plus que l'estimation du COM, en raison du décalage de deux ans dans les travaux.
Les réponses au premier appel d'offres ayant été jugées inacceptables, des négociations très serrées ont été engagées avec les entreprises, qui ont permis de ramener le résultat définitif de 325 à 240 millions d'euros, tout en maintenant les fondamentaux du projet. Voilà qui confirme que le dossier a été traité avec un grand professionnalisme.
J’en viens à la question du vieillissement de nos auditeurs, qui est liée à celle du numérique, dont j'ai souvent dit que l'on n'avait pas à être pour ou contre, qu’il existe et qu’il est une bonne chose pour l'avenir de notre entreprise. Mais il est vrai que les modifications des modes de consommation de la radio ont moins d'impact sur nos antennes que sur d'autres car nos programmes, en particulier ceux de France Inter, de France Culture et de France Musique, ne sont pas consommés essentiellement par des jeunes gens. Peut-être faut-il y voir une conséquence de leur haute tenue, qui les rend plus difficiles d'accès pour un public très jeune. En revanche, le numérique a plus d'effet sur France Info, dont le public plus jeune représente une forte part de l'audience.
Radio France dispose par ailleurs d'une antenne qui a vocation à s'adresser à la jeunesse : si Le Mouv’ connaît des difficultés, pour diverses raisons, il n'en demeure pas moins une priorité.
Je crois que ce sujet mérite une réflexion en profondeur car on ne peut pas se contenter d'offrir de la musique à notre jeunesse : Radio France a l'ambition de préparer les jeunes à vivre dans une société difficile à comprendre, de leur proposer des contenus, notamment culturels, et de vrais formats d'information. C'est un chantier difficile, mais le multimédia, la convergence des médias, la radio numérique terrestre nous offrent des perspectives et il me semble qu'une entreprise comme la nôtre a l'obligation citoyenne et même morale d'avoir une telle ambition pour la jeunesse.
M. Christian Kert, rapporteur de la Commission des affaires culturelles. Votre maison a la chance de ne dépendre qu'à hauteur de 8 % des ressources publicitaires. Avez-vous néanmoins des observations à formuler à ce propos ? Ce marché vous paraît-il stable ? Pourriez-vous le cas échéant intercaler davantage de publicité ou avez-vous déjà du mal à tenir ces 8 % en raison de la chute du marché ? Envisagez-vous de mettre à profit la possibilité qui vous est offerte, comme aux télévisions, de recourir au parrainage et peut-être au placement de produits ?
J’aimerais par ailleurs savoir ce que représente le développement de la convergence numérique dans le budget de Radio France ?
Vous nous avez dit que les antennes étaient en bonne santé, mais puisque vous vous trouvez dans une situation de concurrence, pouvez-vous nous dire comment elles se situent par rapport aux autres radios ?
Enfin, la loi fait de vous le garant de l’indépendance de Radio France. Vous affirmez vouloir faire des efforts pour gagner de nouveaux publics, mais quelle est en fait la ligne éditoriale de Jean-Luc Hees ? En d'autres termes, qu'est-ce qui permettra de dire, dans cinquante ans, « c'était le bon vieux temps de Jean-Luc Hees » ?
M. Patrice Martin-Lalande, rapporteur de la Commission des finances. Avec sept chaînes généralistes, thématiques et de proximité, Radio France propose l'offre la plus large et la plus variée du paysage radiophonique français.
Le contrat d'objectifs et de moyens s'achève cette année. Pouvez-vous nous dire si la relation avec l'actionnaire a bien fonctionné et si certaines leçons doivent être tirées pour préparer le COM qui débutera en 2010 ? Quelles seront selon vous les lignes directrices de ce nouveau contrat ?
La publicité représente en effet une faible part de votre budget. Qui plus est, elle est liée exclusivement à certains acteurs économiques, en particulier en matière de retraites, ce qui ne donne peut-être pas une image très jeune à vos auditeurs. Souhaitez-vous, comme votre prédécesseur, que les règles en la matière soient assouplies ?
Vous avez répondu aux questions qui se posent à propos du chantier de la maison de la Radio.
Des coopérations ont-elles été engagées ou sont-elles envisagées avec les autres services publics audiovisuels, à savoir l’Audiovisuel extérieur de la France et France Télévisions, pour mettre en place le média global que le numérique nous impose ?
M. Jean-Luc Hess. La publicité ne représente en effet que 8 % de notre budget mais ce marché souffre beaucoup. Dès l’exercice 2008, le recul des ressources publicitaires a légèrement dépassé les 2 millions d’euros. Pour l’exercice 2009, nous attendons une nouvelle baisse de 20 à 30 %.
Notre cahier des missions et des charges n’a pas évolué, l’esprit des publicités diffusées sur les antennes reste le même : Radio France constitue un espace préservé de tous les abus publicitaires. C’est un grand confort, même s’il m’arrive de trouver certaines campagnes sinistres, ou loin des temps actuels ! Mais je suis moins gêné lorsque je songe à la manne publicitaire qui tombe dans les caisses de Radio France. En tout cas, eu égard au paysage, nous pensons que l’attitude la plus raisonnable face à la publicité est le statu quo. Ce marché est complexe et la situation est liée à une crise que nous ne maîtrisons pas. La loi du 5 mars 2009 a évidemment eu une incidence car une indécision passagère a pesé sur l’avenir de la publicité à Radio France, ce qui a certainement conduit certains annonceurs à différer ou annuler des décisions d’investissement. De plus, la concurrence de la télévision est accrue après vingt heures, avec des espaces plus abordables, très attractifs pour les annonceurs. Tout dépendra du redressement de l’économie mais notre régie a pour objectif d’optimiser les tarifs et les espaces. Notre politique sera redéfinie dans le cadre du contrat d’objectifs et de moyens, qui couvrira cinq exercices ; il faudra y réfléchir très attentivement.
Le dossier du média global est crucial pour notre maison, qui s’est pleinement engagée dans le développement de la radio numérique terrestre, la RNT. Nous avons pour mission d’assurer la couverture la plus large de la population. Nous sommes très attentifs au taux d’équipement des foyers en récepteurs numériques. Le calendrier de mise en place de la RNT prévoit un lancement dans les zones de Paris, Marseille et Nice dans les prochains mois. Nos sept services seront regroupés dans un même multiplexe, qui sera géré par une société créée spécialement, distincte de Radio France – le conseil d’administration a entériné cette décision. Notre objectif est de couvrir 95 % du territoire vers la fin 2013. C’est une démarche qui était déjà engagée et que nous poursuivons. Il faudra aussi produire des données associées, ce qui constitue une opportunité, mais aura un coût, d’autant plus qu’il faudra, pendant un certain temps, financer une double diffusion. La diffusion analogique coûte actuellement 80 millions d’euros par an à Radio France. La diffusion numérique entraînera un surcoût – que nous évaluons à 2 ou 3 millions d’euros pour 2010 –, dont il conviendra de tenir compte dans le contrat d’objectifs et de moyens. Cependant, à terme, avec l’extinction de l’analogique, nous réaliserons des économies sérieuses.
Il n’y a pas de ligne éditoriale Jean-Luc Hess. Avant d’exercer cette responsabilité, j’ai toujours pensé que, en cette époque particulière, nous avons besoin de culture, au sens large. Toutes les chaînes de notre groupe doivent travailler dans ce sens, France Info, France Bleu, Le Mouv’ et FIP compris. J’enfonce une porte ouverte, mais c’est le rôle de la radio, parfaitement intégré dans l’esprit des collaborateurs de la maison.
Par exemple, nous procédons actuellement à une réforme de France Info. Il est très difficile de réformer une mécanique qui fonctionne bien, mais nous ne pouvons nous permettre d’aller dans le mur en termes d’audience, de constater l’usure d’une antenne ou d’un format. Je tiens à saluer le personnel de France Info, qui a pris un risque énorme pour travailler différemment, qui a sauté à l’eau sans bouée de sauvetage. Je m’aperçois qu’il est possible de faire entrer beaucoup plus de culture sur une telle antenne sans la dénaturer. Il en va de même, je le répète, pour Le Mouv’. Pour moi, tout est culture, même le football ou le rap, dès lors que cela aide un honnête homme d’aujourd’hui à vivre. C’est un axe structurant de la ligne éditoriale de Radio France.
J’ajoute que notre direction de la musique emploie quelque 450 musiciens professionnels. Tout le monde reconnaît le prestige de notre orchestre national, de notre orchestre philharmonique, de notre chœur et de notre maîtrise, qui mène une expérience intéressante à Bondy. Tout cela doit résonner davantage, d’autant que Radio France est en train de se doter d’un instrument coûteux, un auditorium de grande qualité, pour assurer la promotion de ses orchestres, de ses ambitions et de ses productions. J’affiche une ambition culturelle, j’essaie d’emmener la maison dans cette direction et, en l’occurrence, elle ne semble pas se rebeller.
À ma connaissance, nous travaillons peu en commun avec les autres maisons de l’audiovisuel public. Mais je vais me pencher sur la question car le souci de trouver des synergies est légitime : il y va de la bonne gestion de l’argent public.
Nous menons actuellement des réflexions à propos du prochain contrat d’objectifs et de moyens ; il est donc trop tôt pour tracer des axes précis.
D’abord, cette maison assure une continuité. Il convient avant tout de renforcer le cœur de métier de Radio France et de garantir la qualité de ses programmes.
Par ailleurs, nous sommes vraiment entrés dans le multimédia. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, cela constitue une opportunité merveilleuse pour nos activités. Nous devons nous développer de façon exemplaire dans cet environnement.
Nous devons également accomplir un travail de modernisation sociale et salariale très important, justement à l’occasion de cette évolution des métiers.
Enfin, il n’y a pas de fatalité à ce que certaines activités battent en retraite. Radio France est une magnifique maison, bien gérée, dont la mission est d’avoir de plus en plus d’auditeurs, ou d’utilisateurs, en se mettant à leur service. Les auditeurs ne seront jamais assez nombreux !
J’ajoute que nous portons un projet particulier, qui a parfois été mal compris, autour de l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Le 9 novembre, pour mettre en valeur notre diversité, je voudrais que toutes les antennes de Radio France diffusent un programme unique depuis Berlin. En effet, si vous êtes un familier de France Inter, vous n’écoutez pas forcément France Culture, France Musique, Le Mouv’, FIP ou France Bleu. Ce jour-là, j’aimerais que la radio se transforme en colonne Morris présentant tout ce que peut faire Radio France, en y associant tout le monde, notamment les musiciens. Il ne s’agit pas de démanteler le service public, mais au contraire d’afficher ce que notre maison possède de plus fort et de plus créatif. Je tenais à vous apporter des précisions sur ce projet, qui n’est pas toujours évident à comprendre. J’espère vous avoir convaincus.
Mme Colette Langlade. Dans un contexte de concurrence accrue et d’évolution rapide du paysage médiatique, le précédent COM, de 2006-2009, a conforté les nombreuses chaînes locales de France Bleu, qui assurent des missions de service public de proximité.
En écoutant vos propos concernant le prochain COM, je ressens quelques inquiétudes. Quelles seront ses conséquences sur les spécificités de ces chaînes de proximité ? De quelle liberté de manœuvre les décideurs départementaux disposeront-ils ? Que deviendra la programmation culturelle et musicale, surtout fondée sur des catalogues de talents locaux ? Avez-vous une stratégie de réseau claire ?
M. Jean-Luc Hess. Je suis très attentif au réseau France Bleu. Je travaille beaucoup avec François Desnoyers, qui a mis en place le plan France Bleu il y a quelques années, et je visite les antennes autant que je peux. J’y découvre une énergie et un appétit considérables. Je rends hommage à ces équipes.
Il a en effet fallu recentraliser un peu le réseau de France Bleu afin de mieux administrer ses quarante et une radios et j’ai constaté des résultats. À Paris, à Rennes comme à Marseille, nous essayons d’insuffler un parfum de liberté, et je crois que nous y parvenons.
Nous réfléchissons actuellement à la programmation musicale du réseau de France Bleu. Tout est question de curseur, spécialement en matière de radio – tout ce qui est excessif est insignifiant – et nous nous efforçons de procéder aux meilleurs réglages. La concertation avec les équipes est excellente car nous exerçons tous le même métier et nous nous comprenons. Le réseau de France Bleu est parfaitement stable, ce qui constitue une base pour progresser. Il est prêt pour apporter encore plus de satisfaction à ses auditeurs. La proximité est sa raison d’être ; sur ce point, nul ne doit se faire de souci.
M. Patrick Bloche. Quatre mois après votre prise de fonctions, à l’occasion de laquelle nous vous avions déjà auditionné, il est particulièrement intéressant de vous retrouver, alors que vous entrez dans la période sensible de négociation du nouveau COM. Celui-ci suscite nombre d’interrogations, mais nous y reviendrons dans quelques semaines, lorsque nous auditionnerons votre ministre de tutelle, Frédéric Mitterrand. Nous examinerons alors le niveau d’engagement de l’État et l’explosion du coût de la réhabilitation du site de la maison de la Radio, qui inquiète les salariés de Radio France.
Vous avez hérité, nous le savons, d’une situation confortable, puisque la gestion de Jean-Paul Cluzel a été louée lors de son départ, aussi bien en ce qui concerne Radio France que France Inter – Frédéric Schlesinger avait hissé l’antenne au rang de deuxième radio nationale, devant NRJ.
Mes questions seront directes.
Après coup, regrettez-vous de vous être invité de manière impromptue dans une émission de France Inter pour répondre en direct à des propos d’Edwy Plenel que vous jugiez désagréables ?
Hier, Philippe Val a justifié le remplacement – pour rester poli – de Frédéric Pommier, responsable de la revue de presse de France Inter, en lui reprochant de « mettre sur le même plan des sites internet pas sérieux et des journaux comme Le Monde ou Le Figaro ». Validez-vous ces propos ? Pensez-vous qu’une revue de presse doive hiérarchiser les journaux dont elle se fait l’écho ? Ne faut-il pas tenir compte de la manière dont nos concitoyens reçoivent aujourd’hui l’information ? Nous connaissons le succès médiatique et les conséquences des buzz sur internet, nous l’avons encore mesuré la semaine dernière.
Vous avez le souci de faire du 9 novembre 2009 une journée exceptionnelle. J’aimerais que vous approfondissiez la question car nous ne demandons qu’à être convaincus. Je trouve paradoxal de vouloir afficher la diversité du groupe Radio France en faisant le choix d’un programme unique sur les antennes nationales et les quarante et une antennes locales. Le paradoxe peut être intéressant intellectuellement, mais n’aurait-il pas été préférable ce jour-là de mobiliser vos antennes pour que chacune commémore cet événement historique avec son identité éditoriale ?
M. Jean-Luc Hess. Je vous remercie pour la précision de vos questions et l’intérêt que vous portez à nos antennes.
Quelques milliers d’affiches à la gloire d’une excellente maison de radio sise rue François Ier ont fleuri dans les rues de Paris. J’ignore combien coûte une telle campagne, mais je n’ai pas autant de moyens à ma disposition pour faire briller tous les trésors de Radio France. C’est pourquoi j’ai eu l’idée d’ériger une « colonne Morris » de la maison : si 13 millions d’auditeurs écoutent ce jour-là tout ce que nous produisons, si les fidèles d’une station découvrent des choses insoupçonnées, ce sera formidable, et je crois que j’y parviendrai. J’ai évidemment vérifié la faisabilité juridique de l’opération car il importe de respecter religieusement le cahier des charges de Radio France.
Cette idée est née d’une réunion de la Commission franco-allemande, en juin : je me suis rendu compte que, depuis un an, nous n’avions pas réalisé grand-chose dans ce domaine et, avec mon homologue de la radio nationale allemande, nous avons convenu que nous pourrions être plus actifs. La radio nationale allemande nous a donc offert son réseau ondes moyennes pour le 9 novembre : le programme de Radio France sera diffusé en direct sur tout le territoire allemand. J’y ai vu un symbole très fort et l’opportunité de mobiliser au-delà de Radio France. Telle est la philosophie générale du projet : montrer tout ce que savent faire les personnels de Radio France, tout ce dont ils peuvent être fiers. Je suis certain que cette journée sera prestigieuse pour notre maison.
Vous m’avez rappelé l’épisode – pour moi, il ne s’agit pas d’un incident – qui m’a conduit au mois de mai, trois jours après mon arrivée à Radio France, dans un studio de France Inter pour tenter de rassurer Edwy Plenel. Cette démarche était impromptue. Je passais devant les locaux de France Inter quand j’ai entendu Edwy Plenel. Edwy Plenel est pour moi un très bon journaliste, que je connais depuis longtemps, pour qui j’ai le plus profond respect et avec qui je n’ai aucun souci. Simplement, je ne pouvais pas laisser dire que, depuis mon arrivée, les journalistes et la rédaction de France Inter auraient changé de statut, et cessé d’être libres.
Je suis moi-même toujours journaliste, titulaire d’une carte de presse. J’y attache une très grande importance. À ce titre, je suis le garant de la liberté et de l’indépendance des journalistes non seulement de France Inter, mais de Radio France dans son ensemble. Je prends ce rôle très au sérieux. Depuis quatre mois, il a été possible, me semble-t-il, de le vérifier. Je demande à être jugé sur mes actes.
J’ai trouvé convenable de dire à Edwy Plenel, en direct, qu’il devait se rassurer. Peut-être attendais-je que quelqu’un lui dise à ma place qu’il serait toujours le bienvenu à France Inter. Je ne peux accepter qu’un soupçon, qui serait une terrible nuisance pour nos antennes, s’installe envers les journalistes de Radio France. Je trouve cela inqualifiable à leur égard. Je les connais ; ce sont des personnes libres, qui ont du tempérament et ne se laissent pas faire. Je comprends que le mode de désignation du président de Radio France puisse susciter des interrogations sur ma liberté, mon indépendance, mon rapport au journalisme.
Je suis libre, indépendant et plus que jamais journaliste. Je voulais que les équipes de Radio France sachent qu’ils ont en moi le patron qu’il faut pour garantir leur liberté, et ainsi rassurer les rédactions.
Je peux certes comprendre que la méthode ait pu choquer. Je présente mes excuses à ceux qui ont pu être choqués, mais je n’ai pas de regrets sur le fond. Il est de ma fonction de protéger du soupçon les journalistes de la grande maison qu’est Radio France. Ils sont plus de cinq cents et font leur travail avec une infinie conscience, mais ils ne peuvent évidemment le faire que dans la liberté et l’indépendance. Tel était le but de mon message. Si ce dernier a pu être considéré comme un peu abrupt, il était extrêmement courtois à l’antenne et Edwy Plenel ne m’en a pas voulu, en tout cas pas personnellement.
Vous avez évoqué la revue de presse de France Inter. France Inter est une station que j’ai toujours écoutée, que j’aime beaucoup et dont j’ai besoin. J’écoutais la revue de presse avant même de penser que je pourrais revenir à Radio France.
Ma vision de cet exercice, dans lequel j’ai connu quelques grands journalistes, est que même si, désormais, le monde de l’internet regorge d’informations, Radio France a envers la presse écrite une mission qu’elle doit exercer à plein. Pour la presse écrite, le contexte est très dégradé. Or, pour moi, la presse écrite est un maillon essentiel de ce que j’appelle la démocratie. J’ai toujours pensé qu’aider les journaux, tous les journaux, devait être une priorité de la maison. J’ai donc fait savoir au directeur de France Inter que la revue de presse n’était pas un exercice de style. Tant mieux s’il en comporte et si l’exercice est fait avec talent. Mais je suis davantage satisfait s’il y a du fond. C’est ce que je pense, et je l’ai dit aussi simplement que cela.
Je suis satisfait de la revue de presse de France Inter que j’écoute aujourd’hui. Elle ne cite pas seulement la presse écrite, mais aussi d’autres supports. Je souhaitais en revanche qu’il soit clair que nous sommes partenaires de façon quasiment morale de la presse écrite. Pour moi, celle-ci est une priorité de la revue de presse.
Radio France est aussi une maison dotée d’une bonne pratique journalistique. Elle traite convenablement les personnes qui travaillent dans les rédactions. On ne « vire » pas, comme je l’ai lu pendant des jours, le titulaire de la revue de presse : d’autres tâches lui sont proposées. Il paraît raisonnable d’envisager que le patron d’une antenne ou le président de Radio France puisse choisir une option, manifester une ambition, détailler publiquement des signaux qu’il considère comme très importants pour ses antennes. Pour dire la vérité, dans la revue de presse, j’ai retrouvé mon compte, à la fois comme auditeur et comme président de Radio France. Toute la presse est citée ; des sites internet continuent de l’être ; il n’y a aucun ostracisme, mais la hiérarchie des informations est meilleure. Il me semble qu’il y a là un bon signal, et un vrai service pour la presse écrite.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, vous l’avez évoqué vous-même, du fait des conditions de votre nomination, qui ont pour origine le vote de la majorité de cette assemblée, vous allez être observé de très près ; vous ne serez pas jugé pour ce que vous direz mais pour ce que vous ferez, sous la menace d’une révocation à tout moment si vous déplaisez à celui qui vous a nommé.
Mes questions seront très simples.
D’abord, quelles dispositions envisagez-vous de prendre pour mettre un terme au conflit social à RFI ? Envisagez-vous notamment de renoncer au plan social ?
Ensuite, au-delà de France Culture, quelle place entendez-vous donner à la culture et à la création dans les radios de service public ? Vous êtes resté vague, de sorte que si nous vous avons écouté, nous n’avons, si j’ose dire, rien entendu. Que recouvre l’expression « renforcer le cœur de métier de Radio France », que vous avez employée ?
Quels principes et quelles règles suivrez-vous pour le recrutement des journalistes afin que le service public dispose des meilleurs professionnels ?
Envisagez-vous d’approfondir et d’intensifier le traitement des informations sur France Info ?
Prévoyez-vous d’améliorer la qualité sémantique et syntaxique de l’expression des journalistes sur les radios de service public ? Celui qui vous a nommé, disposant lui-même de quelques marges de progression, ne vous fera sans doute pas de remarques à ce sujet.
Enfin – et ce point est à la fois humoristique et sérieux –, grâce au programme unique que vous avez élaboré pour l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin, je rajeunis aujourd’hui de vingt ans. Dans l’ex-RDA, c’était la pratique lors de grands événements que de diffuser un programme unique ; simplement, celui qui alors le décidait s’appelait non pas Jean-Luc Hees, mais Erich Honecker.
M. Jean-Luc Hees. Je ne me pose pas sans cesse la question de ma révocation. Dans ma vie, j’ai déjà été révoqué ; aucune loi pourtant ne le prévoyait alors spécifiquement. Ce risque fait partie de mon métier. Plaire ou déplaire m’importe peu. Ma fonction, ma responsabilité vont au-delà. Si je vous remercie de votre sollicitude, ce n’est pas mon avenir qui m’intéresse : c’est Radio France.
J’aimerais en effet être jugé sur mes actes. C’est cela qui compte dans la vie d’un homme. Jusqu’ici, je n’ai pas eu à en rougir. J’ai déjà eu l’occasion de dire ici que je ne compte pas entamer une carrière de dictateur à cinquante-sept ans. Je m’efforcerai de prouver que j’ai le courage et les valeurs morales nécessaires.
Je ne peux qu’observer, parfois avec une certaine tristesse, le conflit qui ravage actuellement RFI. RFI est installée dans les emprises de Radio France. J’y ai des confrères journalistes et c’est une maison à laquelle je porte un vif intérêt. Mais RFI ne dépend pas de notre gestion. C’est une société totalement séparée de Radio France.
Je regrette de ne pas avoir été plus convaincant sur le chapitre de la culture. Vos propos témoignent que nous partageons au moins cette ambition-là. Il ne vous a pas échappé que, si très peu de modifications ont touché l’antenne de France Inter, les quelques signaux envoyés sont des signaux culturels. Le livre, la lecture, la voix, le théâtre font partie de la vie d’un honnête homme et doivent être promus. Désormais, France Inter compte un excellent programme le samedi à dix-huit heures, consacré à la lecture. Il est animé par un membre de la noble maison de Molière, sous le charme duquel nous sommes tous tombés, Guillaume Gallienne.
Tels sont les signaux que, sans gérer moi-même les antennes – ce qui n’est pas mon emploi – et sans traumatiser les auditeurs – les évolutions doivent être progressives –, j’essaie d’envoyer.
J’ai de bons espoirs. Si vous êtes fidèles à nos programmes, vous pouvez en constater les nombreuses évolutions. La grille de France Culture est désormais beaucoup plus lisible, et accessible à des publics qui n’ont jamais fréquenté cette radio. Nous avons du travail devant nous ; c’est celui des patrons d’antenne, et ils ont envie de le faire. Il en est de même pour ce qui concerne France Musique. Je vous ai parlé du chantier du Mouv’ qui doit aller exactement dans ce sens. Certes, et je le regrette, les résultats concrets restent encore limités ; ce travail, qui se mène en concertation avec les équipes, ne peut aboutir en un jour. Je crois pouvoir dire qu’il est conduit aujourd’hui sur toutes les antennes de Radio France. Nous voulons également montrer plus et mieux nos orchestres et nos formations musicales, de façon que le pays en profite davantage. Ces efforts vont dans le sens de vos propos. J’espère que nous vous convaincrons de la réalité et de la future visibilité de nos ambitions.
Sans me substituer aux directeurs de rédactions ou de chaînes, je serai très attentif aux règles et aux principes de recrutement. La qualité de l’information et des antennes en dépend. J’ai le sentiment que Radio France travaille plutôt consciencieusement dans ce domaine. L’une de nos particularités est le réseau des quarante et une stations locales de France Bleu. Nous essayons d’alimenter nos rédactions en privilégiant les talents qu’on y trouve. Cette pratique incite nombre de jeunes talents à venir faire leurs armes dans nos stations locales. Progresser au-delà des plannings de remplacement peut être, hélas, assez long. Malgré tout, le recrutement se fait à mon sens selon des normes convenables.
France Info est en pleine réforme aujourd’hui. Nous y vivons une aventure journalistique assez extraordinaire. J’y vois des équipes finalement assez réjouies de sortir du carcan d’une machine, aussi belle soit-elle, que nous faisons par ailleurs attention de ne pas casser. Journalistiquement, il est toujours intéressant d’aller voir comment, en matière d’information, on pourrait faire autrement, analyser plus vite, être impeccable. Être journalistiquement impeccable est pour moi, depuis toujours, la qualité essentielle pour être inattaquable. En suivant cette ligne, je ne risquerai ainsi pas la révocation.
Enfin, je suis moi aussi parfois agacé par certaines expressions sémantiques ou syntaxiques que j’entends sur les antennes de Radio France, mais je le suis plus encore lorsque j’écoute d’autres radios ! Beaucoup reste toujours à faire. Même si ce n’est pas mon souci principal, je vous promets de faire passer sans relâche le message.
M. Michel Françaix. Je voudrais d’abord vous faire part de l’estime de tous autour de cette table pour votre personne : pour nous, vous êtes un vrai professionnel, tous ceux qui ont suivi votre parcours le savent, un vrai journaliste, et vous tenez à ce métier.
Les quelques inquiétudes que vous pourriez susciter auprès de nous sont plutôt liées aux modalités de votre nomination et au fait que, parfois, les décisions que vous êtes amené à prendre nous font nous interroger. Il y a quatre mois, lorsque nous vous avons demandé ici si vous aviez l’intention de nommer M. Philippe Val directeur de France Inter, vous nous avez répondu que la question n’était pas à l’ordre du jour. Elle devait en effet ne pas l’être alors. Pourtant, quatre jours plus tard, c’était fait. Sans la mettre en doute, nous souhaitons que votre parole soit précisée.
Rassurez-vous, je continue à être l’auditeur de France Inter que j’ai toujours été. Ce qui s’y est passé ne m’a donc pas paru considérable au point de transformer cette station. Je trouve aussi que l’action de rénovation intelligente menée à France Info mérite d’être saluée ; elle nous donne envie de l’écouter encore plus souvent. Je prendrai même votre place pour vous demander d’insister sur les résultats obtenus en termes d’audience, notamment à France Inter.
En revanche, même si, je le sais, France Inter veut être différente des autres radios, j’ai l’impression que son traitement du sport est au-dessous des minima. Une action d’ensemble est à mener, concernant non seulement le football, mais aussi des sports où la France obtient de bons résultats, comme le volley-ball ou le basket-ball.
Je terminerai en évoquant ce qui va se passer le 9 novembre. J’ai le sentiment que nous sommes entrés dans une période de centralisation excessive, à tous les niveaux. Les journalistes nous disent être inquiets. Peut-être le sont-ils parce qu’ils pensent que cette opération ne restera pas unique, et que la diversité, élément essentiel, pourrait être remise en cause. Vous allez, je le sais, me répondre que non ; cette réponse correspondra à votre pensée. Cependant, demain peut-être, pour des raisons budgétaires ou parce qu’on vous aura fait savoir que telle est la bonne ligne en vue d’un meilleur contrôle, vous serez amené à faire ce que vous allez peut-être me dire dans cinq minutes que vous ne ferez jamais.
M. Jean-Luc Hees. À propos de l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin, je voudrais dire que ne rien faire est toujours plus simple qu’agir. Je ne suis pas là pour ne rien faire ! Par cette opération, qui restera unique dans l’histoire de Radio France, je vous le promets, je souhaite déclencher une sorte de patriotisme de Radio France. La centralisation n’est pas du tout dans mon esprit, je voudrais, monsieur le député, que vous en soyez convaincu.
Les prochaines élections professionnelles, prévues en octobre, ont peut-être aussi développé, au sein de la profession de journaliste, une vigilance à propos de dangers, supposés ou irréels, plus grande qu’elle ne le serait à une autre période.
Monsieur Françaix, j’ai apprécié vos propos sur la réforme de France Info. Pour moi, elle était indispensable. Nous incitons les journalistes à se libérer. Pendant huit jours, j’ai eu un peu de mal à reconnaître mon projet. Tous les jours, nous restructurons France Info, nous « réglons la machine ». Pour libérer les équipes de la pression, je leur ai dit que si l’échec devait arriver, ce serait le mien, mais que le succès serait le leur. Je suis très satisfait des risques professionnels et personnels que les journalistes prennent dans cette aventure, et je suis très optimiste.
Je rejoins aussi vos propos sur le sport. La direction des sports avait peut-être un peu souffert au fil des années. J’ai essayé de la restaurer, pour une meilleure exposition du sport. La place du sport s’est accrue sur les antennes de France Inter et France Bleu. Une réflexion sur le traitement du sport doit aussi être engagée – j’en parle assez souvent avec Jacques Vendroux, le directeur des sports de Radio France. Le sport n’est pas simplement un étalage de résultats.
La part d’audience de France Inter s’est stabilisée à 10,3 %, ce qui est un bon résultat. Pendant longtemps, elle a plutôt été proche de 9 %. Un vrai travail a été réalisé. Pour autant, il ne faut pas s’en tenir là : il importe d’afficher des ambitions pour motiver les équipes de France Inter ! Bien sûr, celles-ci doivent être réalistes. Mais répéter qu’il doit être possible de mieux faire est plus motivant que de se montrer content d’une situation. J’aimerais que, si France Inter devient la première radio en part d’audience, ce soit pour de bonnes raisons et non du fait de l’essoufflement des autres stations.
Le traitement de l’anniversaire de la chute du Mur de Berlin, je l’affirme ici de nouveau, restera un épisode unique dans l’histoire de Radio France. Mon ambition aujourd’hui – je reconnais que ces propos peuvent sembler un peu prétentieux – est de faire de Radio France la plus grande et la plus belle radio du monde.
M. Jérôme Cahuzac. Je veux être clair : le président Hees n’est pas responsable des conditions ni de sa nomination ni de son éventuelle révocation. Elles ont été établies par le Président de la République et la majorité parlementaire. Il n’a pas à nous en rendre compte.
Monsieur le président, l’organigramme de la maison que vous dirigez compte dix directions directement en charge de radios et trente-six qui ne semblent pas l’être. Cet organigramme préexistait-il à votre arrivée, ou son élaboration a-t-il procédé de votre décision ? Le budget de fonctionnement est-il lui aussi réparti selon la proportion de un à quatre entre radios et ce que j’appellerai des « services périphériques » ?
Ma deuxième question concernera la ligne éditoriale. Je considère comme tout à fait sincères vos propos par lesquels vous avez indiqué que vous ne fixiez pas de ligne éditoriale qui vous soit propre. Dans ces conditions – acceptez de nous voir manier nous aussi le paradoxe de temps en temps –, le conseiller éditorial du président, qui figure à l’organigramme, a-t-il pour tâche de lui conseiller de ne pas fixer de ligne ?
Radio France compte une « direction » de la musique, une « direction » des sports, mais un « secrétariat général » de l’information. Cette différence statutaire a-t-elle des conséquences sur le contenu des programmes ?
J’ai entendu vos propos privilégiant plutôt la presse écrite par rapport à l’information publiée sur internet, et j’y ai été sensible. Cependant, puisqu’une polémique récente a secoué au moins le monde politique, si vous aviez été responsable de la chaîne Public Sénat, auriez-vous renoncé vous aussi à diffuser les images de M. Hortefeux qui ont fait l’objet de controverses et de polémiques, au motif qu’elles avaient d’abord été diffusées sur internet ?
Enfin, en tant que député du Lot-et-Garonne je me réjouis de l’excellente nomination à laquelle vous avez procédé à la direction de France Info. Quant à votre décision de nommer M. Philippe Val à la tête de France Inter, a-t-elle été spontanée, ou vous a-t-elle été suggérée ? Dans l’affirmative, pourriez-vous nous dire avec quelle force et par qui ?
M. Jean-Luc Hees. Je vous l’ai dit, ma relation avec Philippe Val est ancienne. Je l’ai appelé à mes côtés et je ne regrette pas mon choix. Étant donné l’agitation qui a entouré son arrivée à France Inter, il était difficile pour lui de s’intégrer. Il l’a fait avec brio et il a su convaincre que seules comptent la radio et les idées propres à l’améliorer. Je suis très satisfait de sa présence et j’ai le sentiment que les équipes le sont aussi ; l’atmosphère agréable du « pot » qui a eu lieu hier l’a montré une nouvelle fois.
L’organigramme de Radio France préexistait à mon arrivée et les changements que j’y ai apportés sont très peu nombreux. M. Fabrice Lacroix précisera la proportion des budgets affectés respectivement à l’administration et à l’antenne.
M. Fabrice Lacroix, directeur financier de Radio France. Dans le contrat d’objectifs et de moyens 2006-2009, un indicateur de suivi fixe à 63 % le volume budgétaire alloué aux programmes – hors les coûts de diffusion, qui représentent 14 % de l’ensemble des coûts. Quelque 77 à 78 % des coûts directs sont affectés à l’antenne. D’autre part, des directions techniques n’apparaissent pas dans l’organigramme en tant que « directions radio » alors même que ces directions de support technique concourent directement à l’antenne.
M. Jean-Luc Hees. Par ailleurs, je me suis en effet adjoint les services d’un conseiller éditorial en la personne de Bertrand Vannier, qui avait été mon adjoint pendant de nombreuses années. Le risque est grand pour le président de Radio France, accaparé par les problèmes à résoudre, de rester confiné dans son bureau. Journaliste moi-même, j’éprouve le besoin de rester en contact avec les journalistes pour faire jaillir les idées. Lorsque Bertrand Vannier m’a rejoint, j’ai baptisé sa fonction « conseiller éditorial ». Il ne s’agissait pas pour moi de faire la politique éditoriale mais que nos réflexions communes permettent la diversité des idées, des antennes et des approches. Radio France doit être impeccable sur le plan journalistique ; c’est à quoi je m’attache avec l’aide de personnalités qui ont de l’expérience. Peut-être l’intitulé que j’ai choisi pour la fonction de Bertrand Vannier n’est-il pas le meilleur ; j’y réfléchirai.
Ne connaissant pas le détail de l’histoire administrative de Radio France, je ne saurais vous dire précisément pourquoi nous avons un « secrétaire général » de l’information, Michel Polacco, et un « directeur » de la musique – Marc-Olivier Dupin, nommé il y a une semaine et qui cumule cette fonction avec celle de directeur de France Musique. Tout au plus ferai-je observer que le premier est un gestionnaire qui n’a pas de rôle opérationnel sur les antennes, au contraire du second.
Enfin, permettez que je ne m’exprime pas à la place du président de la chaîne Public Sénat.
M. Alain Marc. J’écoute France Inter, dont j’apprécie les informations nationales et internationales. Cela étant, nos concitoyens expriment aussi une forte demande d’information locale, ce qui me fait souhaiter l’extension du réseau France bleu. J’ai fait partie de ceux qui, avec Christian Kert, ont souhaité inscrire la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution et, avec elles, les cultures régionales. Nous souhaitons que cette évolution trouve sa traduction dans les programmes des stations de France bleu, et que ce réseau soit à la disposition de tous. De même, France Info doit être accessible en tous points du territoire.
Dans le même ordre d’idée, il paraît déjà acquis que la radio numérique terrestre ne sera accessible qu’à 95% des habitants de notre pays ; faudra-t-il donc que, comme le fait la proposition de loi déposée par notre collègue Vincent Descoeur pour la TNT, une loi traite du cas des 5% de nos concitoyens qui vivent dans des territoires peu denses. Les collectivités territoriales devront-elles à nouveau payer pour qu’ils puissent eux aussi capter la radio numérique terrestre ?
M. Jean-Luc Hees. Je vous suis reconnaissant, Monsieur le député, de l’importance que vous attachez à la couverture maximale du territoire par nos antennes. Pour Radio France, service public, cette question est une préoccupation permanente. Il s’agira, je l’ai dit, de l’un des axes du prochain contrat d’objectifs et de moyens. Nous continuons d’émettre en ondes longues alors que la RNT arrive ; nos antennes doivent donc fonctionner avec ce double mode de diffusion. Nous avons pour objectif la couverture du territoire à 95 % et nous ne saurions nous satisfaire de moins. Mais si nous bénéficions de la vigilance et du soutien du Parlement, alors… Par ailleurs, si nous rêvons tous d’étendre le réseau France bleu, les choses sont compliquées par des considérations financières, le périmètre d’emploi et la question des fréquences. Votre appui, Mesdames et Messieurs les parlementaires, sera donc très bienvenu.
M. Jacques Grosperrin. Sur le plan culturel, le contrat d'objectifs et de moyens 2006-2009 donnait pour objectif à Radio France de maintenir sa part d'audience et de favoriser la création et la diversité. Sur le plan technologique, le contrat lui assignait un rôle moteur dans le déploiement de la radio numérique terrestre.
Ce contrat faisait suite au rapport annuel de la Cour des comptes de 2005, qui insistait sur trois points : la sécurité de la Maison de la Radio, sujet que vous avez évoqué ; l'absence de maîtrise de la masse salariale, question que vous avez traitée pour partie ; enfin, l’érosion préoccupante de l'audience depuis 2001. À ce sujet, l'enquête Médiamétrie relative à l'audience de la radio au deuxième trimestre 2009 montre que Radio France a conservé sa place de premier opérateur radio de France avec 25,5 % d'audience cumulée et 21,7 % de part d'audience. Le contrat d'objectifs, qui prévoyait une audience de 24,4 %, est donc respecté. France Inter conforte sa place de deuxième radio de France et France Info reste le leader incontesté des médias d'information continue.
Toutefois, la comparaison entre l'enquête Médiamétrie pour 2003-2004 et celle qui porte sur la période avril-juin 2009 montre une audience cumulée en baisse de 10,6 % à 10,3 % pour France Inter, de 10 % à 8,5 % pour France Info – mais vous nous avez dit que ce creux était surmonté – et de 6,9 % à 6,5 % pour France bleu. Nous savons que vous êtes très attaché au contenu culturel et la qualité de vos programmes. Il est vrai aussi que l'audience cumulée de la radio est orientée à la baisse depuis cinq ans. Cependant, les statistiques portent sur ceux qui écoutent encore ce beau média, ce qui signifie que l'érosion de l'écoute des antennes de Radio France se poursuit. Comment l’expliquez-vous et comment entendez vous y remédier ?
M. Jean-Luc Hees. L’inconvénient des contrats d’objectifs et de moyens est qu’ils portent sur cinq ans, si bien que leur élaboration demande quelques qualités divinatoires… mais le volontarisme peut compenser le manque de visibilité.
L’audience globale des radios a diminué. Selon Médiamétrie, le taux d’écoute globale s’établit à 80,9 %, ce qui n’est pas le signe d’une grande forme. D’évidence, les modes de consommation se diversifient, notamment chez les jeunes, mais la durée d’écoute est stable pour les antennes de Radio France, ce qui me paraît très sain, et l’audience du groupe n’est pas mauvaise. Pour autant, je suis convaincu que l’on peut toujours faire mieux, sur tous supports.
Ma priorité va à l’amélioration des contenus, car c’est là que les choses se jouent. Notre mot d’ordre est de faire mieux, certainement pas de « consolider la descente » comme je l’ai entendu dire. Je ne me résoudrai pas à constater l’érosion de l’audience et à m’en tenir là. Nous avons des moyens, nous les employons à motiver les équipes et à les amener à modifier certaines pratiques. Croire en la fatalité n’est pas dans mon cahier des charges ; cela ne signifie pas que nous réussirons en tout, mais au moins aurons-nous eu l’ambition d’essayer.
Nous consacrons donc un certain temps à restaurer la confiance des équipes, à convaincre que les pertes d’audience ne sont pas inéluctables et à les compenser par la mise au point de nouveaux produits. Amélioration des contenus et développement de stratégies nouvelles : ainsi comptons-nous rattraper ceux de nos auditeurs qui se dirigent vers des modes de consommation nouveaux. Nous y sommes prêts. Nous en avons l’ambition et, grâce à vous, les moyens.
Mme Françoise de Panafieu. Radio France, radio généraliste, doit s’adresser à tous, chercher à attirer le plus grand nombre d’auditeurs possible et, quand elle aborde l’information politique, se demander toujours si elle reflète bien les équilibres nationaux. Or, dans la tranche 8 heures–9 heures de France Inter, au cours de laquelle des auditeurs interviennent pour donner leur opinion politique sur l’actualité, la plupart se situent nettement à gauche – ils se décrivent ainsi eux-mêmes. Le filtre établi par votre standard est-il fiable ? Je ne le sais. J’aimerais en tout cas des statistiques sur l’âge et les catégories socioprofessionnelles de votre auditoire, ce qui aiderait à mieux le cerner. Vos auditeurs semblent, sinon âgés, du moins déjà installés. Qu’en est-il exactement ?
M. Jean-Luc Hees. Je vous ferai parvenir les chiffres précis, dont je ne dispose pas à cet instant. Il est exact que France Inter s’adresse à des adultes ; cependant, on a parfois des surprises. L’idée est aussi assez répandue que les auditeurs de cette antenne auraient une sensibilité de gauche : j’ai longtemps dirigé cette chaîne, et je n’ai jamais perçu cela. France Inter est un lieu d’échanges et de débat, une radio que beaucoup de gens écoutent avec plaisir, avec agacement parfois quand ils sont de droite, avec agacement parfois quand ils sont de gauche. C’est une antenne pluraliste, très attachée à ce pluralisme. L’important est que chacun y trouve sa place ; c’est le cas. La chaîne remplit bien son rôle. Je vous remercie, Madame, de l’intérêt que vous portez à notre maison, singulière mais démocratique.
Mme Monique Boulestin. J’apprécie la clarté et la sincérité de vos propos, et je souscris à votre volonté d’ouvrir davantage l’offre culturelle pour accueillir de nouveaux publics. Dans cette optique, ne conviendrait-il pas de revoir le format et le concept de France Culture, afin de le « dépoussiérer » un peu ?
M. Jean-Luc Hees. L’expression ferait sursauter les responsables de cette radio ! France Culture n’est pas une radio « scolaire », comme le dit souvent son directeur, Bruno Patino. Mais elle reflète la complexité du monde et de l’histoire des hommes, ce qui la rend d’accès plus difficile que d’autres antennes. Cela fait aussi notre fierté. Cela dit, il n’était pas inutile de rendre la grille des programmes plus lisible, je l’ai mesuré moi-même. Des émissions et des documents véritablement passionnants sont livrés au public sur cette antenne. Mais tout est perfectible, et nous nous attachons aussi à améliorer France Culture.
Mme la présidente Michèle Tabarot. Je vous remercie.