Dans la nuit à venir, 2eme série de 4 nouveaux entretiens entre Robert Mallet et Paul Léautaud. Comme les précédents, vous les trouvez enchaînés à la file. 18' + 18' + 20' + 17'. Total : 1h14 en comptant les indicatifs. Si on se reporte à la publication (très retouchée hélas) en volume, ces 4 émissions correspondent à la fin de la conversation 2, suivie de la 3 en entier, puis du début de la 4eme.
De là, on ne se laissera pas trop surprendre par le démarrage de cette livraison, quelque peu abrupt, car la 5eme émission fait suite quasi dans la continuité à la fin de la précédente. L'idéal aurait été de scotcher le début de l'une à la suite de l'autre, et ainsi éviter de sectionner le récit. Décalage de quelques minutes, remodelage superficiel ? L'accommodement eût peut-être été jugé sacrilège, eu égard à la fidélité historique, chose dont on sait qu'elle est aussi servie parfois par la paresse ou par le crétinisme. Reste que l'édition radio historique elle-même n'est pas si respectueuse des conversations réelles, dont la clarté se trouve ici mise à mal par le découpage.
Ici malgré quelques décrochages temporels, Robert Mallet reste encore attaché à la chronologie : après la prime enfance, puis l'adolescence et l'entrée dans l'âge adulte, voici enfin les choses sérieuses : un peu de sentimental et même des questions quasi-pipole sur les premières amours du futur "anachorète mondain et priapique" (je reprends ici la formule de Bechtel&Carrière dans leur 'Livre des Bizarres" où ils lui consacrent une notice savoureuse). Puis c'est l'entrée en littérature ou plus exactement c'est la littérature qui entre pour de bon dans la vie de Léautaud. Initialement clerc d'avoué puis administrateur notarial, Paul se frotte à la poésie. Il écrit beaucoup et il brûle autant : des milliers de vers passent à la cheminée, et à l'en croire il n'y a pas lieu de les regretter. Avec son alter ego Adolphe Van Bever qui l'introduira chez Lugné-Poë, ils vont réunir en 3 volumes leur anthologie des "Poètes d'aujourd'hui". 50 ans plus tard c'est l'occasion pour Léautaud de pousser un mini coup de gueule dans le vide "ça n'est pas une anthologie, mais un choix" lisez la préface bon sang ! On échappe de peu au coup de canne, pas encore interdite de studio mais ça ne va plus tarder, car elle a fait suffisamment de dégâts dans les 2 rendez-vous précédents.
Voici comme un sommaire de ces 4 entretiens.
- Pour le tableau de l'époque : l'étude de notaire, l'affaire Dreyfus, la fin de Verlaine, l'amitié de Moréas, le symbolisme. Et Paludes.
- Pour les lectures et les influences : Stendhal, les Frères Goncourt, Mallarmé
- Pour les admirations : Barrès, Taine, Renan, mais aussi les proches si précieux et tant aimés, que sont Adolphe van Bever et déjà Alfred Vallette (mais pour en savoir plus sur le Mercure il faudra attendre encore un peu - demain certainement).
- Pour les anecdotes négatives : Jules Renard, Anatole France, Rimbaud, Zola, Gide la girouette
- Pour les entrées en scène : Gourmont, Valéry.
Quant à l'entrée en scène de Léautaud lui-même, eh bien on le trouve pour sa première publication logé entre Raoul Ponchon et Villette. Ici le vieil emmerdeur se laisse piéger par l'intervieweur Mallet, qui insiste pour lire le début et la fin de cet exécrable poème. "Non ça n'intéresse personne, mais je me laisse faire. Comme une victime." Puis après quelques vers "Vous pourriez peut-être en rester là". Mais Mallet ne décroche pas et Léautaud va devoir avaler le canif jusqu'à la lime. On sent venir l'ambiance qui va les rendre fameux ces entretiens. Les deux compères ne lésinent pas sur l'anecdote. On en trouvera une flopée qui parsèment la conversation. Mais à bien écouter pourtant, même les traits brefs dépassent l'anecdote : ce sont les traits d'un tableau, qu'on trouve dans les jugements et considérations de cette mémoire enchapeautée. Léautaud en quelques commentaires, nous donne son (auto)portrait de lecteur-écriveur, homme qui se doit d'être indépendant, apprend à écrire en lisant les mauvais écrivains et en soupesant chez eux de plus en plus la forme et de moins en moins le fond. Tous les lecteurs de métier font ainsi, dit-il à Mallet, et vous même aussi, non ? De là les leçons de style que Léautaud se paye le luxe d'envoyer par courrier postal à Gide et à Paulhan, avant de conclure le troisième entretien sur les mémorialistes, avec Chamfort et Rivarol. Quant au 4eme qui va clôturer cette livraison, Mallet le ramènera vers un échange plus profond autour de Stendhal, et à l'anthologie réunie avec Adolphe van Bever. La discussion s'interrompt là-dessus, et c'est de nouveau sur cette anthologie qu'ils reprendront demain leur dialogue.
Voila le parcours. Evidemment je ne dis pas tout et même presque rien car cette page a pour but de vous pousser à l'écouter cette rediffusion. Mais tout de même, ceci : dès cette 2eme série on peut remarquer que le jeu se met en place : les deux interlocuteurs-partners se sont maintenant suffisamment observés. Chacun est capable de coincer amicalement l'autre. Mallet fait quelques gaffes, se fait rabrouer pour un mot mal choisi, mais il sait aussi défendre son bout de gras. A l'occasion c'est lui qui place Léautaud face à ses propres erreurs, ce que l'autre accepte parfois en rigolant, parfois en bougonnant. Ou bien en niant purement et simplement : ce que vous avez lu dans mon journal, dit-il, c'était à moitié imaginé, enfin complètement inventé à partir d'autre chose. Ou alors vous avez mal lu et mal compris : "je n'ai jamais eu d'ambition littéraire !" (et bing). Admettons. On ne sait pas très bien lequel des deux est en pleine ruse, et lequel se trompe. La seule certitude c'est que Léautaud est un roublard sincère, et que Mallet prend plaisir à le cuisiner tout en lui conservant un respect modérément attendri.
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