Après Gourmont, les deux interlocuteurs vont évoquer André Billy, André Rouveyre, puis Apollinaire. Léautaud raconte comment fut publiée la Chanson du mal-aimé, qui du coup lui est dédiée (vous pouvez vérifier dans votre volume d'Alcools). Mais ce qu'il ne dit pas ce soir Léautaud parce qu'il l'a dit il y a quelques jours, c'est que la version finale est moins belle pour son goût, car gonflée d'éléments qui jurent quelque peu dans le cycle. Pourtant la lettre des cosaques zaporogues au Sultan de Constantinople, on pouvait croire que Léautaud allait aimer ... ? Mais peut-être qu'il n'admet pas qu'on rigole en poésie, allez savoir...
Ensuite vient la guerre : mobilisé à l'arrière, Léautaud n'en fout pas lourd. Il échappe de peu à un conseil de guerre que devrait lui valoir propos malheureux ; l'anecdote laisse rêveur. L'histoire continue : notre homme parvient à la cinquantaine. Et au fil des ans voila qu'il se ramollit, se juge atteint de sensiblerie, mais aussi retrouve une certaine jeunesse, celle dont il a été privé 30 ans plus tôt. Là on ne sait plus très bien qui parle : le vieux dragon édenté de 1951, ou bien le jeunot déjà misanthrope de 1920. Ici Mallet essaie une fois de plus de le pousser à bout. Pendant de longues minutes c'est un piteux échec, mais rassurez vous à la fin de ces 80 minutes ça va finir en feu d'artifice. Pour l'instant l'autre semble tout simplement en avoir assez. D'ailleurs il le dira à Julien Benda dans un entretien qui sera enregistré à leur insu, et que vous entendrez diffusé tout à la fin de la série : "tout cela est bien long" dira en substance Paul Léautaud ce jour-là. Ce soir face à son intervieweur il se refuse à éclaircir les contradictions que l'autre pointe, en comparant son Journal et ses propos présents. Hier qualifié de "confesseur", ce soir voila Mallet promu examinateur : "j'ai l'impression de passer un examen" dit l'écrivain. Résultat il ne cherche même plus trop à répondre : il lui faudrait dépenser encore en introspection une énergie qu'il n'a plus tellement l'air d'avoir dans son magasin. Peut-être même pas tellement doué pour l'auto-portrait et pas du tout pour se justifier d'ailleurs il s'en tape, ça au moins c'est évident. Bref il est fidèle à sa devise : "me foutre de tout et n'écrire que ce qui me plairait". On peut dire que l'entretien patine quelque peu. Mais ils vont se réveiller dans la dernière partie.
Vient alors le chapitre des femmes. Ceux qui ne peuvent pas blairer Léautaud ne doivent pas manquer ça : c'est probablement là qu'il apparait le moins correct et le moins supportable : les femmes ? Mais voyons Mallet, ce sont des êtres inférieurs, privés d'intelligence. Tout homme a forcément eu envie d'étrangler une femme. Euh sauf lui, dit-il. Et avec tout ce qu'on a déjà entendu, notamment le récit du voyage à Pornic où il se fait piétiner par la mère Cayssac surnommée "le Fléau" (ici on comprend les raisons de ce surnom) on se demande un peu pourquoi lui seul n'a jamais eu la tentation. Bon je vous fais pas le détail. Par moments c'est marrant et par moments c'est un peu énorme de sexisme, même pour l'époque. Cela dit, c'est parfaitement contradictoire avec l'attitude quasi-féministe du critique de théâtre dans la livraison d'hier. Par chance le niveau s'élève quelque peu dans les 20 dernières minutes avec les commentaires sur le recueil des "Amours". Les moments vraiment crus de ces Dialogues, connus depuis 60 ans, c'est ici qu'on va les entendre. Ils sont tout aussi obscurantistes, notez bien. Dans son rapport aux femmes, à la femme, Léautaud se refuse à tout intérêt autre que charnel, et au micro il le dit comme ça et sans prendre de gants. En face l'autre tente de s'inscrire en faux mais on peut aussi trouver que ses réactions ne vont guère plus loin. Reste qu'au fil de l'entretien ils sont de moins en moins d'accord. On a déjà entendu << Oh, oh... oh vraiment Mallet, vous savez .. ! >>. Visiblement l'intervieweur a trouvé le filon, et le voila qui se flatte d' "insupporter " le vieux râleur qui du coup en profite : il saute sur ce verbe fautif et entreprend de donner une leçon à Mallet. En clair, il cherche à dégager en touche, le filou ! Mais Mallet ne lâche pas comme ça une proie. Tous deux continuent leur cinéma et on comprend pourquoi ces entretiens ont marqué une époque. Mais parce que ce billet quotidien a pour but de vous pousser à l'écoute je ne vous en dis pas plus sur la suite, sauf que ça finira savoureux, et en apothéose : malgré son rire final de perdant pas rancunier, Léautaud a les deux épaules à terre et Mallet le recteur content de son factum, peut quitter le ring content...
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Dernière édition par Nessie le Dim 03 Fév 2013, 18:27, édité 1 fois