Ma chère Antonia, sur le rapport tissé entre les urbains et la campagne, nos opinions ne sont pas si éloignées. C’est ma faute, car j’aurais dû faire une distinction entre le désir de ruralité auquel vous vous référez, et le phantasme que j’évoquais précédemment.
Le désir de nature est évidemment légitime et il est même nécessaire, comme est légitime et nécessaire le souhait de retrouver la plante et l’animal vivants derrière notre consommation quotidienne, l’homme ou la femme qui s’emploient à les faire pousser ou grandir, et le pays où ils évoluent. C’est d’autant plus indispensable que j’ai tendance à croire que nous autres Français, qui habitons sur un territoire déjà cultivé et fortement humanisé depuis les Gallo-Romains au moins, avons dans notre inconscient collectif une idée de la nature qui est une idée fondamentalement domestiquée, campanisée, paysanne, que nous partageons d’ailleurs avec nos voisins latins. Les Allemands, les Scandinaves, les Slaves, ont un lien plus intime avec la nature "sauvage", la forêt, la montagne, eux dont les fronts de défrichement ont démarré plus tard que nous, en partie pour des raisons démographiques (je mets à part les Britanniques et les Néerlandais : leur histoire tournée vers la mer, par choix comme par force, et leur évlution historique fait de leur campagne un simple hinterland des ports). Bref, pour nous, la nature, c’est la campagne. Que ce désir soit par ailleurs réactivé à mesure que le lien direct avec le monde rural s’effiloche à chaque génération, et par réaction à une modernité de plus en plus rapide et insaisissable, ne m’étonne d’ailleurs guère.
Où je parle de phantasme, c’est lorsque l’image de la campagne que produisent certains urbains exclut totalement la dimension productive du terroir et son usage "normal" par les ruraux. Je ne parle évidemment pas ici des conséquences environnementales désastreuses d’un productivisme mal compris et d’un usage mal pensé des adjuvants de toutes sortes:les eaux nitratées, les pesticides, etc... Je pense au fait, tout simple et qui étonne souvent les néo-ruraux, que la campagne, ca fait du bruit (souvent tôt le matin et, en période estivale, tard le soir), ca sent mauvais, et ca suscite pas mal de petites nuisances qui font tout le lit des multiples conflits d’usage qui sont consécutifs à la rurbanisation. C’st là que je parle de Bergers d’Arcadie : lorsque la carte postale de la haie vive couverte de chèvrefeuille se révèle sentir le fumier.
Ceci étant, ce phantasme, c’est surtout celui de l’urbain aisé qui s’achète une campagne ou qui vient y passer sa retraite. En fait, le principal résident de la campagne, c’est désormais le rurbain, ouvrier, employé, cadre moyen, venu s’installer dans un lotissement pas trop cher à trente, quarante, cnquante kilomètres de son travail, moitié par choix (le rêve pavilonnaire, le bon air pour les gosses, le désir de fuir des quartiers en voie de ghettoïsation), moitié par contrainte (le prix de l’immobilier, le faible pouvoir d’achat. Pour lui, le rapport à la campagne est très ambigü : cadre de vie choisi, elle peut rapidement devenir une prison (notamment en cas de chômage) ; lieu de vie réputé "calme" et "sain", il est troublé par l’exercice normal des activités agricoles, d’autant plus que les ruraux se sentent désormais "minoritaires" chez eux et tolèrent souvent mal la critique qui leur est adressée en matière de consommation d’eau, de bruit... Le désir de campagne est ici en contradiction partielle mais endémique avec sa réalité.
Sur le juste prix, je ne peux qu’être d’accord, encore qu’à mon sens, il ne faut pas exagérer le rôle de l’augmentation de certains comportements colectifs sur la baisse tendancielle du poste alimentation dans les dépenses des ménages. Que des dépenses nouvelles soient apparues, j’en suis d’accord, encore qu’il me semble que certaines d’entre elles (celles notamment liées aux télécommunications et à Internet) se révèlent difficilement contournables dans notre société. J’adhère moins au discours "salauds de pauvres" qui consisterait à leur faire reproche de dépenser leur argent en futilités diverses et variées au lieu de se bien nourrir et d’éviter ainsi ce marqueur social moderne qu’est l’obésité. D’abord, mon exprérience immédiate me conduit à constater que ce discours est plutôt tenu dans la classe moyenne-inférieure ou moyenne-moyenne en voie de déclassement qui flétrit le comportement réel ou supposé des pauvres, mais agit exactement de même (notamment en latière de consommation de divertissement ou d’appareils électroniques). De ce point de vue, l’observation de la sortie des caisses d’un hard-discount le week-end est édifiante. Ensuite, cette critique, dont je ne saurais dire qu’elle est totalement infondée, fait bon marché de l’augmentation des dépenses contraintes (logement, fluides, transports)qui frappe justement de plein fouet les plus pauvres. Il faudrait aussi discuter de l’accès à une alimentation de qualité : les poissonniers, les vrais bouchers, les primeurs qui ont quasiment disparu des centre-ville, pour ne pas parler des villages ; les marchés mal adaptés, dans leurs horaires, au rythme de vie des salariés. Enfin, il y a à l’évidence un grave problème d’éducation à la consommation, mais qui nous entraîne bien loin.
Sur le bio, je suis assez d’accord avec vous. Je me méfie des intégristes de la production "naturelle" qui, généralement, sont les plus féroces critiques des producteurs raisonnés, qui, en limitant au maximum l’usage de la chimie, ne s’interdisent cependant pas en cas d’urgece d’y avoir recours avec mesure et discernement.Comme si "naturel" était obligatoirement synonyme de "sain" ! C’est la thorie de César dans la trilogie de Pagnol, qui démontre l’innocuité du pastis en faisant valoir que toutes les bonnes plantes médicinales qui composent ce breuvage ne sauraient, de ce fait, avoir d’effet débilitant, d’autant plus que, ne connaissant pas le foie, elles ne pourraient s’y attaquer... Je crois d’ailleurs que les questions de biologie des sols, d’éco-agronomie, de biochimie retrouvent une importance capitale en cette matière.