C'est personnellement le genre d'émission qu'à la réécoute, j'interromps dix fois pour la rembobiner 10 minutes en arrière, ayant perdu le fil : chaque réflexion de l'émission me donne envie d'apporter dix commentaires, remarques et codicilles en tout genre.
C'est l'occasion de profiter d'un lieu comme celui-ci pour confronter, ou à tout le moins agglutiner toutes celles qu'on peut se faire, de remarques philosophiques, quand on agite à nos oreilles de tels aimants à pensées.
Mais voici rapidement le tableau argumentatif que brosse Etienne Klein dans son émission :
- Le changement, c'est ce qui, appliqué à l'être, le fait changer.
- Si l'être à changé, il n'est plus le même, mais pour qu'on puisse dire que c'est lui qui a changé, il faut que quelque chose de lui se soit conservé. Est-on bien fondé à parler d'être, d'ailleurs ? N'y a-t-il pas de toute façon un hiatus infranchissable entre être et changement.
C'est le bon moment pour parler d'Héraclite, héros du changement, et Parménide, chantre de l'être. Etienne Klein tempère ici l'opposition classique qu'on fait entre eux, puisqu'il explique que même pour Héraclite, pour qui tout est flux, les lois elles-même appartiennent à un ordre différent de celui du monde, et en conséquence elles ne sont pas soumises au changement incessant. - Si l'être en question a changé, le changement ne devrait-il pas changer lui-même pour continuer de s'y appliquer ensuite de la même façon ?
L'émission prend cette dernière question comme pivot entre philosophie et physique. Klein transpose cela au cadre actuel dans lequel on pense l'univers : notre monde est censé avoir changé continuellement depuis les premiers instants qu'on soit capable de s'en figurer. En revanche, il en va tout différemment des lois de la physique, des lois du changement qui, pense-t-on, sont aux commandes de l'évolution de l'univers.
L'hypothèse, certes métaphysique, mais communément admise, est que les lois sont plus ou moins immuables, que les premiers électrons qui sont apparus se sont comportés de la même façon qu'il le font aujourd'hui entre eux. Certes, on se hasarde parfois à penser que les constantes fondamentales ont pu évoluer, mais d'habitude, pas les lois elles-mêmes. Et quand bien même, si ces lois avaient changé, serait-ce en vertu de quelles méta-lois ? Et ces dernières changeraient-elles à leur tour ? (je résume toujours ici Etienne Klein).
De toute façon, on peut se demander ce que sont exactement ces lois : appartiennent-elle à l'univers lui-même, les porte-t-il en lui comme une particule porte ses propriétés, mais alors qu'il change et elles non (cf. plus haut, régression à l'infini à éviter) ? Font-elles parties d'un monde transcendant, platonicien, qui ne soit pas soumis lui-même au changement ? Mais alors comment se fait la communication entre les deux mondes, celui des lois et celui des choses (c'est toujours le problème quand on suppose deux natures, celui de la communication entre les deux) ? Font-elles partie simplement de nos cerveaux, et ne sont-elle qu'une trace de nos limites conceptuelles, sont-elles l'effet d'une appréhension limitée du réel, équivalente au filtre polarisant sur des lunettes de soleil qui ne nous permettent de voir que les rayons orientés suivant l'axe des stries du filtre - mais fort utile pour mieux y voir dans le rayonnement trop touffu qu'offre les paysages trop riches en sources réfléchissantes - ? Mais quid alors de leur prédictivité toujours croissante ? Et a quoi serviraient-elles, ces propriétés du cerveau (cela ferait d'ailleurs au moins un objet de l'univers, nos cerveaux, qui suive ces fameuses règles) si elles n'étaient pas adaptées au monde qui nous entoure ?
Enfin, et ce n'est pas le plus facile, comment, si l'univers a émergé du néant, ces lois (ou même d'autres lois) ont-elle pu s'appliquer au néant pour le faire accoucher de l'univers ? Comment changer du néant au quelque chose, au juste, puisque le néant ne devrait pas avoir de propriétés sur lesquelles les lois puisse avoir de prise ? Sauf à ce que ces propriétés (et ces lois) préexistent de tout temps (mais pourquoi alors, comme dirait Kant, l'apparition de l'univers à un moment précis de l'éternité).
Voilà tout ce qu'a brassé Etienne Klein - j'ai déformé quelques propos suivant mes propres tournures d'esprit -, et sur lesquels il serait intéressant de voir ce que cela stimule de réflexion ici. J'essaierai de condenser quelques-unes des miennes au prochain message. Et de nettoyer celui-ci, que je poste encore un peu en vrac et non relu par manque de temps, mais je compte sur votre indulgence.
Dernière édition par masterkey le Jeu 16 Mai 2013, 09:57, édité 2 fois