Le texte est court mais dense : 8 pages, sans fil conducteur vraiment perceptible si ce n’est le pouvoir onirique de la radio. Si l’article résume la causerie de 1949, il en prépare aussi l’écoute. Accessoirement, il permet de reconstituer les premières secondes qui sont manquantes dans l’enregistrement de 1949.
Pour Gaston Bachelard, la radio est un phénomène cosmique en ceci qu’elle crée une sphère de pensée autour de la planète : logosphère, dit-il. Ce néologisme est à la fois chance et malchance pour l’attention, à la fois clin d’œil et court-circuit par-dessus 60 ans de progrès technique, car il plonge d’emblée le lecteur ou l’auditeur de 2009 dans une rêverie imprévue : le mot forgé par Bachelard semble exactement approprié à ce que l’internet nous propose et nous fait vivre : logosphère, blogosphère, bavardosphère, verbiosphère. Le réseau électronique étreint à la fois la planète et l’humanité, dans sa ceinture aussi concrète qu’immatérielle. Bachelard sent déjà tout cela dans la radio, qui diffuse une parole universelle, nous dit-il, où les langues se confrontent sans se confondre : il ne s’agit pas d’une Babel, mais d’une grande synthèse vivante de l’esprit humain, esprit planétaire, car l’auteur pressent déjà le village global. Mais le conférencier quitte le village pour nous emmener vers la maison. Bachelard y vient très vite, sans le recours chez lui habituel aux 4 éléments, et sans non plus le secours du temps ou de l’espace : la Maison est le seul thème qu’il prend comme exemple concret dans ces 8 pages, afin de déployer son raisonnement et sa vision. La radio à la fois ressource et vecteur de la rêverie intime, est le moyen dont chacun dispose pour se livrer à la plongée dans la maison des rêves et dans la poésie des archétypes. La radio, nous dit Bachelard, est supérieure au livre, en ce qu’elle permet et incite au rêve éveillé et à cette plongée. Par là, elle est la véritable voie royale vers l’inconscient, ici résolument moins Freudien que Jungien.
Parce que la radio et plus particulièrement le programme de France Culture est l’objet d’une polémique régulièrement ravivée, les polémistes de divers bords trouveront dans le texte diverses remarques qu’ils pourraient recycler à l’appui de leur thèse. Ainsi Bachelard nous dit que la radio ne peut se répéter. Certains en tireront que le renouvellement constant ne peut être puisé que dans l’événement et dans l’actualité. De même quand il préconise l’emploi d’ingénieurs psychiques, les paranoïaques et les tenants de la soupçonnite qui occupent l’espace et le temps présent y verront le spectre de la manipulation. Il faut écarter ces interprétations loufoques, et se concentrer sur la dernière page du texte : certes encore consacrée à l’onirisme, mais résolument tournée vers l’esthétique. Comme annoncé dans les premières pages, à côté de l’ingénieur d’antenne c’est à l’ingénieur psychique que le philosophe entend confier le programme ; en y ajoutant le gestionnaire qu’on n’osera pas ici appeler manager (c’est un ingénieur à sa façon) on trouvera alors réunie la triple compétence dont Pierre Schaeffer est, déjà à cette époque, à la fois l’exemple et le théoricien. Dans ces 8 pages, Bachelard s’égare parfois dans des questions dont on sent qu’il les maitrise mal, notamment lors de ce lien qu’il cherche à établir entre la psychologie de l’auditeur et l’apport du programme, selon les heures propices à la rêverie, et celles de la fantaisie. Là encore, le lecteur peut s’engager sur son chemin de traverse, et s’interroger : mais qu’aurait-il pensé, Gaston Bachelard, de cette radio à la demande, et de ce podcast que certains présentent comme le successeur du broadcast ? Serait-ce l’abolition de l’imprévu de la rêverie ? Ou au contraire, un réservoir de rêverie à contrôle personnel ? De cela en 1951, Bachelard n'aurait pu parler, car à ce moment le sujet n’est même pas encore dans les tuyaux ; il aurait fallu pour cela s’adresser à un autre Gaston (Berger). Mais en 2009 sans leur secours, après tout n’est-ce pas à soi-même qu’il convient pour chacun d’entre nous, de poser la question ? Ce forum est là pour y accueillir les réponses des uns et des autres.
Bachelard conclut son texte par une préconisation : les ingénieurs psychiques de la radio, dit-il, seront les poètes. Et ce voeu est bien le même que va formuler Alain Veinstein plus de 50 ans après au micro de Surpris par la nuit, dans ses hommages rendus à Georges-Emmanuel Clancier et à Alain Trutat. A ceci près qu’en 2006 il ne s’agit plus de voeu mais de regret : les poètes n’ont plus leur mot à dire dans cette maison, déplore Veinstein. Mais qu’on n’y voie aucune fatalité : il suffirait de placer de nouveau à la tête du programme un dirigeant disposant du fameux trépied de compétences, pour retrouver d’un seul coup la radio de Schaeffer, celle de Veinstein, celle de Bachelard, plus une autre qui est peut-être encore à venir.