Durant ce mois d'octobre 2018, trois rediffusions d'émissions littéraires très différentes, et leur comparaison est instructive.
Pessoa - L'intranquillité Une émission littéraire de 1993 (les Nuits du 24/10), sans dissertation savante sur le sens profond de l'œuvre, mais qui donne au contraire l'envie de la lire. De nombreux extraits lus par Philippe Caulet, sur le ton neutre qui convient parfaitement. Par exemple ici (à méditer sur ce forum) [son mp3="http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13915-24.10.2018-ITEMA_21864856-0.mp3?track=false" debut="05:40" fin="06:00"].
L'écriture de Pessoa, d'une belle élégance, évoque celle d'autres écrivains ses contemporains, comme Proust [son mp3="http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13915-24.10.2018-ITEMA_21864856-0.mp3" debut="14:00" fin="14:35"] ou Stefan Zweig [son mp3="http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13915-24.10.2018-ITEMA_21864856-0.mp3?track=false" debut="02:46" fin="04:24"]. L'animateur, Etienne Valles, laisse la parole à la traductrice pour donner quelques éclairages sur la personnalité de Pessoa. Une remarque un peu surprenante cependant, "Pessoa était portugais
mais d'origine juive".
"
Comprendre, c'est oublier d'aimer" écrit justement Pessoa (Livre(s) de l'inquitéude - Bernardo Soares, 22). Et c'est bien ce qui apparaît nettement dans l'émission consacrée à Tarkos :
Tarkos - Signe = : autre style d'émission et d'œuvre, celle que Pascale Casanova en 2004 (les Nuits du 20/10) consacrée à ce poète (1963 - 2004), mort à 41 ans d'un cancer au cerveau, et dont le psychisme était probablement affecté par la tumeur depuis plusieurs années.
Tarkos propose une poésie qui est un "
manifeste en acte" c'est à dire où la forme et le fond sont inséparables, mettant en œuvre ce qu'il appelle une langue "
pâte-mot". Pour parler de ce poète qui a eu une vie d'environ dix ans, Pascale Casanova donne surtout la parole à trois écrivains, à Tarkos lui-même et à sa compagne.
L'idée de P. Casanova, dans la plus pure tradition culturellement cultivée de France Culture, c'est d'identifier et d'expliciter une théorie poétique pour cette œuvre : de la
comprendre. Elle est visiblement (audiblement plutôt) désarmée devant la position littéraire de Tarkos ("
Ma maladie est de parler, et le guérissement de ma maladie est de parler" ), et les écrivains intervenant ensuite (Ph. Beck, C. Prigent, JM Gleize) peinent eux aussi à disserter savamment : Tarkos a débarqué "tout équipé" dans le petit monde des poètes, son œuvre, courte, est inclassable et lui-même ne livre pas de théorie sensée.
L'inadéquation de l'approche savante et cultivée de P. Casanova et des trois écrivains institutionnels est éloquente, aucun ne dit pourquoi il
aime cette poésie. Mais l'émission vaut malgré tout par la lecture que fait la compagne de Tarkos [son mp3="https://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/13915-09.07.2021-ITEMA_22723115-2017C3372E0428.mp3" debut="40:20" fin="41:45"], et par l'intervention pleine de subjectivité de Katalin Molnar qui tente de sortir du cadre formel de l'émission.
Troisième émission, encore différente :
Beckett - Molloy (rediffusée le 21/10). Il s'agit d'une lecture publique en 1989 d'extraits du roman de Beckett, correctement réalisée par Pierre Chabert sur le ton neutre qui là encore convient.
Malheureusement le choix de ces extraits est très décevant : après les pages introductives, où l'auteur invoque la "chambre de sa mère", les autres extraits sont des passages qui ne prennent de sens que dans une lecture complète du roman. Surtout, ce sont les passages "grand public" : prétendument érotiques ou comiques. Et bien entendu, et malheureusement, certains spectateurs rient, s'esclaffent bruyamment, pour montrer qu'ils sont toujours là après une heure de Beckett, et qu'ils goûtent cet humour : c'est dire s'ils sont cultivés. Mais Beckett n'a jamais utilisé l'humour pour faire rire.
Aucune de ces pages émouvantes, pleines de poésie, par lesquelles Beckett dans ce roman se livre plus intimement et émeut le lecteur.