J'en arrive à ce qui aurait pu ne pas même faire débat et nous éviter cette grande boucle de 2 ou 3 pages : l'excès du relativisme qui ne va pas sans risque d'auto-enfumage initial suivi de l'enfumage d'autrui, même involontaire. Car vous concluez ainsi :
Basil a écrit:[...] Conclusion : Le réel humain n’est pas objectivable, sauf à vouloir objectiver des relations dont on veut se débarrasser, peut être pour mieux développer les siennes et, pourquoi pas, asseoir une domination. [...]
(Je renvoie la discussion sur la domination à un échange ultérieur)
Voici donc l'alpha et l'oméga du relativisme, qui permettrait de réfuter l'objection faite à Jorion. Si vous tentez de me dire qu'on ne peut pas parler du vivant ni des relations humaines et pas non plus de la vie sociale sans les dénaturer, j'en suis bien d'accord. Mais ça ne donne guère plus de poids aux propos d'un Jorion qu'à ceux de ses adversaires.
Nous sommes en ce moment en train de parler de la réalité économique, ou plutôt de l'image que nous nous en faisons, et de la justesse de cette image. Dans la sphère des intellectuels et même en descendant jusqu'à notre lower-intelligentsia, personne n'est assez fou pour confondre le réel avec l'image qu'il se fait du réel. Toutefois, celui qui en s'appuyant sur cette image, parvient à produire du sens recevable et une action valide, peut accorder **un certain crédit** à cette image. En face, nier que la réalité existe est un jeu intellectuel amusant et même propre à faire mûrir l'esprit, mais c'est une position intenable pour quiconque est en quête d'un savoir structuré. Arguer que l'image parfaite étant impossible, toutes les images se valent, ou pire : dénigrer une image au motif qu'elle est imparfaite pour en proposer une qui soit -elle- dénuée de justifications objectives, là il me semble qu'on franchit une ligne, et si ce n'est celle de l'honnêteté rhétorique, alors c'est la limite de l'erreur ou de la folie .
Pour autant, il est permis de douter de l'image communément acceptée. C'est même ce qui fait le génie des découvreurs. Mais quand on veut offrir de la réalité une image juste, plus juste que l'image acceptée par la communauté, il faut au moins produire cette nouvelle image en respectant un code d'objectivité, faute de quoi on se condamne à demeurer dans une obscurité qui, volontaire et prosélyte, revient à de l'obscurantisme. Il me semble que dans ses interventions radio, Jorion est dangereusement proche de cette dernière attitude, et que son propos se résume à une vision historique simplifiée, additionnée d'une condamnation morale ; or ni l'une ni l'autre ni la somme des deux ne pourront se faire passer pour du savoir. Le malheur est que lui-même, habile pour contester la réalité d'autrui ne semble guère accepter qu'on remette en question la sienne. Et dans un deuxième temps sur ce forum notre débat s'égare dans la terminologie. Alors revenons à ce qui distingue un intellectuel d'avec un idéologue :
Dans le relativisme mis au service de l'idéologie, on décèle un tour rhétorique usuel, courant chez des gens comme Bourdieu, et chez ceux qui s'efforcent de faire douter des autres tout en restant eux-mêmes imperméables au doute. Le trick serait le suivant : en premier ressort, sous couvert de sagesse et d'humilité scientifique, ils nous disent que :
- la neutralité n'existant pas, en y prétendant nous sommes dans l'erreur
- la réalité empirique étant inatteignable, l'image que nous en proposons n'est pas recevable
- l'objectivité parfaite étant impossible, nous ne pouvons y prétendre
Dans un second temps et guère soucieux de justification dans l'autre sens, celui qui conteste notre réalité nous en présente une autre, étayée un coup par le mensonge statistique (Bourdieu), un coup par le charabia incompréhensible (Maffesoli) , un coup par l'entourloupe au réel (Jorion).
Le trajet serait donc le suivant : "la vérité n'existant pas, vous ne pouvez y prétendre, et vous devez donc accepter ce que moi j'en propose comme image". Ainsi font certains intellectuels, hélas. Mais les militants et les journalistes engagés ne font guère autrement . Je suis désolé de dire que je ne vois là qu'entourloupe. Et je dirai aussi mon grand étonnement qu'une telle manipe fonctionne, si je ne savais que l'idéologie fournit à l'enfumeur une bonne quantité de l'énergie et du culot nécessaires à la manipulation.
Dernière édition par Nessie le Jeu 22 Déc 2011, 09:46, édité 2 fois