Ce matin le numéro d’émotion d’Alexandre Jardin avait quelque chose d’affligeant. Ca semblait tellement surjoué par moments (voix cassée, respiration difficile), qu’on se dit que pour être aussi énorme ça ne peut être que sincère, donc désolant. La participation téléphonique de Daniel Cordier ("j’aurais voulu avoir un grand-père comme vous") puis de Brigitte Jardin ("ça me fait plaisir qu’il y ait eu un autre Jean Jardin") n’ont été que l’occasion d’en remettre une couche.
Alain-Gérard Slama avait certainement vu venir ce festival d’outrance, aussi a-t-il dégagé en touche et traité d’autre chose. Et il n’a pas participé au débat, où c’est Danièle Sallenave qui a tenté de dégonfler le ballon, en mettant en regard la démarche de l’invité avec celle de Dominique Fernandez dont le travail vole à un autre niveau. Evidemment c’est assez salaud de se dire qu’Alexandre Jardin est venu accrocher son wagon à la locomotive Fernandez, surtout que lui raconte que ça fait 15 ans de psychanalyse qu’il se pose la question. En passant, ça ne donne pas spécialement confiance dans la pertinence de sa "réflexion", au contraire on cherche le rapport entre les problématiques freudiennes et l’identification au problème historique posé par le grand-père ! Après tout, on sait bien que la psychanalyse sert parfois de départ et parfois de substitut à n’importe quel effort de travail sur soi, qu’il soit pertinent ou fantaisiste, qu’il soit de profondeur réelle ou tout de simulacre. Et puis c’est Emmanuel Laurentin qui a sauvé l’honneur intellectuel pour l’équipe en posant la seule question factuelle qui soit pertinente (il cite Klarsfeld) : celle du pouvoir réel et de la responsabilité de l’accusé post-mortem. Alexandre Jardin répond en invoquant une fois de plus la zone d’ombre. Zone d’ombre, argument d’autorité, dérivations, phrases non terminées, voila le style rhétorique d’Alexandre Jardin ce matin, à quoi il faut ajouter qu’il s’était justifié préventivement en arguant qu’il n’a pas fait "un livre d’historien" et Pierre Assouline, bien assaisonné dans l’émission de façon à mon avis plutôt dégueulasse, ne s’est pas fait faute de l’écrire (j’y reviendrai en fin de post).
Ce qui est marrant dans tout ça, c’est qu’Alexandre Jardin aujourd’hui bien en phase avec France Culture pour faire son beurre sur les horreurs du monde, prouve qu’il a commencé à réfléchir et à tirer des conclusions sur ces horreurs : il passe à un niveau supérieur avec cette fulminante conclusion que pour faire faire des tas d’horreurs à des gens qui ne sont pas des monstres, on peut y parvenir en les recrutant sous la bannière de la morale, avec des valeurs comme celles du sacrifice (Pétain), ou de la fidélité (Jean Jardin - sauf que là, la fidélité c’est 30 ans après et qu’il ne s’agit plus des événements mais d’autre chose). Tout de même cette leçon de méfiance envers la morale elle résonne comiquement sur une antenne certes jadis dévolue au savoir et à la réflexion, mais qui aujourd’hui actionne de plus en plus les grosses ficelles de l’émotion et de la morale à deux ronds. Je m’autorise cet amalgame entre Pétain et Julie Clarini, grande représentante de la moraline sur la chaine, même si je sais que sa moraline est évidemment d’une autre farine : celle d’autres grandes institutions du totalitarisme dans l’histoire (pour simplifier : l’église catholique et le kremlin).
Enfin question morale, si on a nous aussi le droit de donner des leçons alors allons-y : Pierre Assouline se trouve assaisonné dans l’émission de ce matin. On comprendra pourquoi en lisant son excellent billet en blog sur le livre de Jardin :
Tintin au pays des collabos. Du coup j’en viens à regretter le temps où Pierre Assouline faisait les Matins... C’était pas facile de prendre la succession de Jean Lebrun qui lui-même après Culture-matin est devenu ce qu’on sait c’est à dire pis que rien. Et même si Assouline s’y est essouflé ben quand on voit ce que ça donne maintenant avec le bon Voinche, au moins du temps de Première Edition, la matinale avait une autre gueule ...