De même, j'avais une violente envie de couper lors de la séquence du marché, qui était effectivement à fuir. Exemple de gaffe : cette voix connement débraillée qui nous décrit le marché comme l'endroit de Bordeaux où on peut laisser les enfants sans surveillance, et mieux : c'est qualifié d' "emblématique", terme si souvent employé abusivement sur cette chaine qui fait naturellement la promotion des modes langagières. Alors qu'en conclure ? Que Bordeaux est une ville dangereuse mais que le week-end dans ce petit coin de bo-bos on y est bien, et que les bourges du coin peuvent se la jouer seventies au micro de FC ? Bon c'est tout ce témoignage qui fait tache dans l'émission.
Car pour le reste, je n'ai rien entendu de déplaisant, au contraire. Les durées ? Mais le Carnet nomade est toujours en 3 ou 4 parties de 15 à 20 minutes et presque toujours thématisé, donc on est largement au-delà des pastilles sonores ou des assemblages hétéroclites de 11h ou de 6h du matin. Et malgré cet impair du marché, j'ai apprécié ce numéro. La productrice maîtrise cette forme de divertissement élégant qu'est la promenade radiophonique urbaine, entrelardée d'échanges avec les auteurs. On n'atteint pas des sommets d'analyse, on ne bat pas des records de profondeur, car le projet de l'émission n'est pas de cet ordre. Le culturel n'est pas spécialement l'intellectuel, mais de l'âme chez Colette Fellous alors pardon, il y en a ! Comme d'habitude les lectures sont impeccablement faites et je les trouve plutôt bien choisies. J'en dirai de même pour la réalisation, les enchainements.
Le Carnet est ouvert chaque dimanche à 14h : de mon point de vue l'émission est très bien placée, car je ne vois pas trop ce début d'après-midi comme le moment de l'intensité cérébrale extrême. Maintenant c'est vrai que comme toute émission régulière, ça ne peut pas manquer d'être inégal. Cela,dit, le carnet nomade je n'apprécie pas toujours. Mais ce numéro il m'a presque donné envie d'aller passer quelques mois à Bordeaux pour sentir cette ville. On va me dire que si c'est ça France Culture, un soutien de l'office de tourisme urbain, grands dieux où va-t-on ? Oui peut-être, mais pourquoi pas ? Si la culture c'est non pas ce qui reste quand on a tout oublié, mais ce qui reste et point final, alors dites-moi, qu'est-ce qui reste plus que les villes ? Quand le Carnet nomade part en promenade urbaine, il fait exactement ce que Sylvie Andreu ne faisait plus depuis longtemps : nous faire savourer la ville, comme 2 heures plus tôt il y a encore pas si longtemps, Renée Elkaïm Bollinger nous faisait savourer on ne savait même plus quoi : les mots ou bien les goûts, les deux évidemment. Après les jeux des Papous un peu surexcités parfois dans le forçage de l'humour, Colette Fellous c'est une heure d'esthétisme, c'est plein de charme et au moins on nous prend pas la tête comme dans l'heure qui suit avec le militantisme occidentalophobe de Marie-Hélène Fraïssé. Nul doute pourtant que la productrice du Carnet, elle a ses convictions elle aussi : on les entend parfois au détour d'une remarque, et il arrive qu'on les devine dans le choix des sujets. Mais justement parce qu'elle n'en fait pas l'élément obligé pour farcir son heure de radio déjà ça nous repose. Ca tranche sur l'ambiance globale de cette radio de la prise de tête qui pratique le forçage idéologique en se consacrant aux crises, à la pétoche pour les repus du confort, à la permanente promotion de la culpabilité, et des anxiogénies de l'époque. Colette Fellous tourne le dos à ces facilités, parce qu'elle en a d'autres me direz-vous. Bon très bien : au bout du compte son carnet nomade c'est le bol d'air frais de la semaine.